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détruire tout mon passé, et pour m’empêcher d’aimer encore, il faut que j’oublie que j’ai aimé. L’éternité de mes affections semble donc être un élément de l’immortalité personnelle, la seule qui m’intéresse, la seule qui soit l’immortalité.

« Est-ce tout ? Pas encore. N’est-ce pas un principe évident que tous ces caractères essentiels de la nature humaine doivent être conservés comme les conditions mêmes et les garanties de l’identité ? Jusqu’où s’étend ce principe ? Jusqu’où pouvons-nous l’appliquer sans déroger à la sévérité d’une sage induction, sans tomber dans d’indiscrètes puérilités ? Pouvons-nous faire encore un pas dans cette voie de l’identité ? Pourquoi non ? il s’agit de préserver un attribut essentiel de la nature humaine. Et, pour poser la question dans toute sa sincérité, l’identité est-elle complète, si la différence des sexes disparait, si l’âme ne garde pas la spécialité de ses aptitudes et de ses innéités, s’il n’y a plus qu’un genre d’âmes au ciel, quand il y en a deux si nettement tranchés sur la terre ? » Si épuré que soit l’amour, je crois bien qu’il est difficile de ne rien voir de matériel au moins dans les causes du sentiment ; je sais bien que l’amour platonique existe et peut-être plus qu’on ne croit, mais se manifeste-t-il chez les eunuques ? et ce désintéressement des sens est-il apparent ou réel, momentané ou essentiel ? J’ai essayé d’expliquer ailleurs ce sentiment singulier ; le fait seul qu’il se produit très souvent à la puberté indique bien que l’état des organes n’y est pas étranger[1]. Il semble bien que la tendance fondamentale qui produit ce qu’on appelle l’amour pur, comme s’il y avait quelque chose d’impur à la procréation d’un être, soit exactement la même que celle qui produit l’amour le plus brutal, et que seul le milieu psychique auquel doit s’accommoder cette tendance, varie d’un cas à l’autre. Ceci devient, il me semble, d’autant moins incertain que l’on trouve des traces de l’amour physique, des traits de matérialité incontestable dans des affections qui ne sont pas proprement de l’amour sexuel[2]. Au reste et quoi qu’il en soit, et bien que l’auteur ait tâché de spiritualiser autant que possible sa conception des sexes, l’opinion que j’indique me paraît encore fortement appuyée par le fait que l’auteur a fait suivre le passage déjà cité de celui que je transcris à présent.

« Mais ce corps lui-même que le dogme philosophique de l’immortalité semble reléguer si loin avec un souverain mépris, il a été pendant la vie terrestre l’instrument principal, l’expression de notre

  1. Les phénomènes affectifs au point de vue de la psychologie générale. (Revue phil., déc. 1885.)
  2. Voyez Arréat, Sexualité et altruisme. (Revue philosophique.)