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sistant ainsi, malgré la logique et sans causer la moindre inquiétude intellectuelle à l’esprit en qui ils vivent et dont leur nature reste inconnue.

Mais si nous passons des opinions populaires aux opinions de personnes instruites et d’une intelligence cultivée et même distinguée, nous ne voyons pas que les opinions perdent ce caractère incohérent, ce mélange de concret et d’abstrait que nous avons déjà remarqué. Il y a un progrès cependant en ce sens que, si l’on pense autant à la vie future, on se la représente peut-être moins.

Autant que j’ai pu en juger, j’ai vu les personnes, sauf quelques rares exceptions, les plus croyantes, les plus convaincues de l’immortalité de l’âme penser fort peu à la vie future. Quelquefois, à l’occasion d’une mort surtout, ces idées se réveillent et peuvent prendre une certaine importance. Dans le courant ordinaire de la vie, elles me semblent négligeables. En somme, elles sont surtout un moyen de diminuer la séparation qui résulte de la mort d’une personne chère, en transformant la disparition en une sorte de voyage vers un lieu éloigné où l’on se rejoindra un jour ; — la vie future joue un certain rôle encore dans la morale, mais surtout peut-être au point de vue des conseils qu’on donne aux autres. Quoi qu’il en soit, les idées qu’on s’en fait paraissent peu précises et peu nettes. La plupart du temps, quand on en parle en dehors des cas que j’ai cités, ce qu’on en dit n’a pas grande signification : on espère un état meilleur, on se le représente négativement par la suppression des inconvénients que l’on est bien forcé de trouver en ce monde, mais il est difficile de voir au juste ce qu’on en pense. Je crois qu’on n’en pense pas grand’chose.

Nous n’examinons pas encore les opinions des philosophes. Il est bien sûr que, pour les personnes d’intelligence cultivée et ouverte qui croient à la vie future, le principal caractère de cette vie est d’être une sorte de développement de la vie présente, et surtout une manière de continuer les affections de la famille. Or, si une mère tient à la vie future pour ne pas être séparée de son fils, je suppose, et si j’essaye de comprendre la façon dont elle doit se représenter l’âme de son fils et la sienne, je trouve qu’il doit lui être à peu près impossible de faire abstraction de la partie matérielle de l’être auquel elle tient tant. L’idée de se retrouver avec son enfant implique sûrement l’idée de le voir, de l’entendre, de lui parler, de le caresser, c’est-à-dire qu’elle implique des représentations visuelles, auditives et tactiles dont l’idée de l’âme ne s’est pas détachée. De même toutes les fois qu’on pense à revoir un ami, un parent dans un autre monde, c’est lui encore, semble-t-il, comme on l’a connu que l’on doit re-