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dans le même sens qu’il faut comprendre ce passage de Griesinger. « Le fait rapporté par M. Sandras (Ann. m. psychologiques, 1855, p. 542) est très remarquable. Il parle d’hallucinations qu’il a eues lui-même dans une maladie, pendant laquelle il prenait ses propres pensées et ses désirs pour des voix ; ces voix lui répondaient à ses questions mentales, comme une troisième personne, mais toujours dans le sens de ses désirs. Des malades intelligents nous disent souvent aussi qu’au début, c’est seulement quelque chose d’idéal, comme un esprit qui parle en eux, mais que ce n’est que plus tard qu’ils entendent réellement parler. » Griesinger admet parfaitement d’ailleurs l’existence de ces images vagues, abstraites. « Nous voyons, dit-il, d’après la description exacte que les aliénés nous font de leurs hallucinations, qu’elles peuvent aller depuis l’apparence la plus pâle et la plus confuse jusqu’à la vivacité sensuelle la plus grande[1]. » On pourrait soutenir que ces images auditives vagues ne sont pas en réalité des images auditives, et que la parole intérieure et ces hallucinations sans timbre sont composées d’images motrices. Il me semble que l’autre interprétation est seule probable si l’on considère que, dans l’état pathologique, les malades parlent de voix ou de pensées qu’ils entendent et que, à l’état normal, cette interprétation est en conformité avec ce témoignage de M. Victor Egger, pour qui la parole intérieure consiste essentiellement en des images auditives et qui parle ainsi de la parole calme : « Celle-ci est à la précédente ce que la parole intérieure vive est elle-même à la parole extérieure ; elle est l’écho d’un écho. Les caractères de la parole subsistent encore en elle, mais effacés, elle paraît moins une parole ou quelque chose de la parole qu’un élément ou une détermination de la pensée[2]. » J’ajouterai qu’elle est également en conformité avec mon expérience personnelle.

Une autre preuve de l’existence des images abstraites, c’est qu’elles concourent à la formation de nos représentations des choses que nous ne connaissons pas directement. Voici à ce sujet une note que j’ai prise il y a quelques mois : « Je dois entendre ce soir un artiste que je n’ai jamais entendu et dont on m’a fort vanté la voix. Je peux bien m’imaginer jusqu’à un certain point cette voix, et si j’essaye de me former cette représentation, voici ce que j’éprouve : j’ai des représentations visuelles faibles des scènes de la pièce que je verrai jouer ou de scènes analogues, de plus j’ai des images auditives assez faibles d’une voix puissante, enfin j’ai une disposition à

  1. Griesinger, Traité des maladies mentales, p. 104-105.
  2. V. Egger, la Parole intérieure, p. 187-188.