Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVII, 1889.djvu/566

Cette page n’a pas encore été corrigée

lisée qu’une image individuelle (it is more like a generalised than an individual image).

. . . . . . . . . . . . . . .

« 97. — Pas d’objets particuliers, seulement une idée générale d’espèce très indéterminée (no individual objects, only a general idea of a very incertain kind).

« 98. — Non. Mes souvenirs n’ont pas la nature d’une vision spontanée, quoique je me rappelle bien où se trouve un mot dans une page, et quel est l’aspect du mobilier dans une pièce. Les idées ne sont pas des peintures mentales, mais plutôt des symboles des faits,

« 99. — Extrêmement faibles. Les impressions sont à tous égards si faibles, vagues et passagères, que je doute qu’elles puissent être raisonnablement appelées des images…

« 100. — Ma faculté (de visualisation) est nulle (my powers are zéro)… Je me rappelle la table du déjeuner, mais je ne la vois pas. »

Je retrouve dans ces réponses les caractères que j’avais pu constater déjà par mon expérience propre, le vague, le peu d’étendue et le peu de durée de l’image visuelle. Une observation de M. Taine nous montre également comment les images visuelles peuvent être réellement abstraites à de certains égards, comment la couleur peut, par exemple, exister sans la forme. M. Taine nous dit avoir à un degré ordinaire la mémoire des formes, à un degré un peu plus élevé celle des couleurs. « Je revois sans difficulté, ajoute-t-il, à plusieurs années de distance cinq ou six fragments d’un objet, mais non son contour précis et complet ; je puis retrouver un peu mieux la blancheur d’un sentier de sable dans la forêt de Fontainebleau, les cent petites taches et raies noires dont les brindilles de bois le parsèment, son déroulement tortueux, la rousseur vaguement rosée des bruyères qui le bordent, l’air misérable d’un bouleau rabougri qui s’accroche au flanc d’un roc : mais je ne puis tracer intérieurement l’ondulation du chemin, ni les saillies de la roche ; si j’aperçois en moi-même l’enflure d’un muscle végétal, ma demi-vision s’arrête là ; au-dessus, au-dessous, à côté, tout est vague ; car même dans les résurrections involontaires qui sont les plus vives, je ne suis qu’à demi lucide ; le fragment le plus visible et le plus coloré surgit en moi, sans éblouissement ni explosion ; comparé à la sensation, c’est un chuchotement où plusieurs paroles manquent à côté d’une voix articulée et vibrante[1]. »

Les éléments de la perception, la couleur et la forme se dissocient.

  1. Taine, De l’Intelligence, I, 79.