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échappés à la classification ordinaire. J’ai moi-même essayé ailleurs de définir ces états en tant que jouant un rôle dans le langage intérieur[1]. Nous avons ici à reprendre la question à un point de vue plus général, et nous sommes amenés par tout ce qui précède à examiner l’existence dans l’esprit de représentations et d’idées abstraites composées par la suppression de certains éléments de l’expérience sensible et par la systématisation des éléments persistants. Remarquons que le problème tel qu’il se pose ici perd une grande partie de son intérêt par cela seul que nous avons dû déjà reconnaître l’existence incontestable de tendances abstraites en chacun de nous. Il s’agit seulement de voir ici si ces tendances abstraites, ou des fragments de ces tendances peuvent agir en nous, en dehors de tout cas particulier auquel elles s’appliqueraient.

Notre reconnaissance des objets extérieurs n’est pas faite seulement des impressions que ces objets produisent sur nous, par l’intermédiaire des organes des sens, mais aussi des réactions que ces objets déterminent. Un cheval n’est pas seulement un complexus de sensations de couleur, de forme, de contact, etc., c’est aussi pour nous un moyen de traction ou de locomotion, ce dernier élément est un des plus importants pour notre connaissance. D’une manière générale nous ne connaissons bien un objet, un être quelconque que quand nous savons comment agir à son égard, nous savons que la viande est non seulement un muscle d’animal, d’une certaine couleur et d’une certaine consistance, mais encore que, cuite d’une certaine manière, elle fournit un excellent aliment. Tous ces objets, tous ces êtres déterminent plus ou moins en nous certaines réactions qui composent une partie importante de l’idée totale que nous en avons. On peut considérer à ce point de vue, un ami, un parent, un animal, une plante, et même les corps célestes, qui sont hors de notre portée, mais qui déterminent en nous des mouvements appropriés et combinés pour les examiner.

En un certain sens, d’ailleurs, cette classe d'impressions actives rentre dans la classe des sensations, cela du moins parait probable. Si, en effet, comme il semble ressortir de travaux récents, le sentiment de l’effort se ramène à des sensations musculaires, les impressions actives rentrent dans la classe des sensations, et se rattachent particulièrement aux sensations de tact. Mais il n’en était pas moins utile de les distinguer, au point de vue du sujet qui nous occupe.

Un objet est donc pour nous un complexus de sensations réelles ou possibles de diverses sortes, visuelles, auditives, tactiles, olfactives,

  1. Le langage intérieur et la pensée. (Revue philosophique, janvier 1886.)