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vallées sans montagnes. Il aurait pu vouloir « qu’il ne fût pas vrai que les contradictoires ne pussent exister ensemble ».

Ainsi, d’après ce dernier texte, on voit que Descartes, avant Hegel, allait jusqu’à mettre en question le principe de contradiction ou du moins à le subordonner comme tout le reste à la volonté divine. Cependant il faut reconnaître que Descartes a singulièrement atténué sa doctrine lorsqu’il a dit que nous ne devons concevoir aucune différence de priorité en Dieu entre l’entendement et la volonté, car il n’y a qu’une seule action simple et pure ; ce que les mots de saint Augustin expriment fort bien : quia videt, ea sunt, parce qu’en Dieu videre et velle ne sont qu’une seule et même chose. C’est là sans doute une réserve importante ; car alors ce n’est pas la volonté seule qui a fait la vérité ; il est vrai que l’entendement n’a pas la priorité sur la volonté, mais réciproquement la volonté n’a pas la priorité sur l’entendement : ce qu’il y a de paradoxal dans la doctrine s’efface en grande partie. Il n’en est pas moins vrai que la volonté est un des facteurs de la vérité, et que Descartes a cru que toutes les vérités éternelles, y compris le principe de contradiction, sont des vérités contingentes.

Une telle doctrine est incompréhensible ; et cependant, non seulement Descartes la recommande malgré son incompréhensibilité, mais c’est là précisément la raison même pour laquelle pense qu’on doit l’admettre. Il lui semble que, si nous connaissions l’origine de la vérité, cela suffirait pour que cette origine supposée ne fût pas la vraie. En quoi de telles affirmations diffèrent-elles des affirmations contenues dans les mystères chrétiens ? D’autre part, si on admet la doctrine de Descartes, les mystères proprement dits cessent à leur tour d’être incompréhensibles : car ce que l’on objecte aux mystères, c’est qu’ils semblent violer le principe de contradiction. Mais si ce principe lui-même est contingent, quoi d’étonnant que Dieu et tout ce qui constitue la nature divine soient au-dessus de la raison.

Il y a du reste une telle analogie entre l’incompréhensibilité théologique et l’incompréhensibilité métaphysique que Descartes répond à l’objection qu’on lui fait de la même manière que les théologiens, lorsqu’on la leur fait à eux-mêmes.

« J’avoue, dit-il, que nous ne pouvons comprendre cela ; mais parce que, d’un autre côté, je comprends fort bien que rien ne peut exister en quelque genre que ce soit qui ne dépende de Dieu, ce serait une chose tout à fait contraire à la raison de douter des choses que nous comprenons fort bien à cause de quelques autres que nous ne comprenons point. »

Il n’entre pas dans le plan de cette étude de prendre parti pour ou