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physique. Notre seconde proposition corrélative sera celle-ci : Toute métaphysique contient des mystères.

II

Il suit des deux propositions précédentes que, de part et d’autre, en philosophie et en théologie, il y a une métaphysique, et que de part et d’autre aussi il y a des mystères. Il y a donc parité quant au fond entre les deux sciences, malgré leurs dissemblances ; il y a affinité entre la philosophie et la théologie.

Nous avons maintenant à établir la seconde partie de notre thèse, à savoir que la philosophie, comme la théologie, a ses mystères.

Ce terme de mystère peut s’entendre dans deux sens.

Ou bien on peut l’entendre dans un sens négatif, c’est-à-dire comme signifiant des obscurités impénétrables, des problèmes insolubles : « Il y a plus de choses sous le ciel et sur la terre que ton esprit n’en peut comprendre, » dit Horatio dans Hamlet. Ce n’est pas en ce sens que nous entendons la proposition précédente. Ce ne serait en effet qu’une répétition banale de ce qui a été cent fois dit sur les limites et les ignorances de la philosophie. Multa nescire est quædam pars sapientiæ. Je ne sais qu’une chose, c’est que je ne sais rien. Ce sont là les différentes expressions de cette première manière d’entendre le mot mystère en philosophie.

Mais ce n’est pas ainsi qu’on l’entend en théologie. Le terme de mystère y est pris dans un sens positif et non négatif. Il exprime alors non des problèmes non résolus, mais au contraire des solutions de problèmes auxquelles manquent un ou plusieurs termes pour qu’elles deviennent intelligibles pour l’esprit. Tel est le mystère en théologie. Nous l’avons vu en effet : le dogme de la Trinité, à savoir l’alliance de l’unité divine avec la triplicité des personnes ; le dogme de l’Incarnation, à savoir la fusion incompréhensible de la nature divine et de la nature humaine ; la Rédemption, à savoir le salut des hommes par la mort d’un Dieu, ne sont pas de pures négations. Ce sont des vérités positives qui ont un contenu réel, et qui répondent à des problèmes, qui enfin satisfont à leur manière aux besoins de la nature humaine, mais en confondant la raison, en lui demandant de se soumettre, d’oublier ses habitudes de circonspection logique, absolument impuissantes pour atteindre aux vérités profondes qui touchent au fond des choses. Voilà bien le sens des mystères théologiques. Eh bien, c’est précisément dans le même sens que nous prétendons qu’il y a des mystères en philosophie.