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moitié abstrait, un peu dupe de la métaphore dont il ne sent pas trop la valeur. Il arrive souvent que, pour un esprit abstrait, une métaphore n’est uniquement que le moyen de donner plus de force et de relief à l’idée sans éveiller aucun élément hétérogène, comme cela se produit dans les formes inférieures de l’abstraction. En fait les mots employés dans ce cas perdent presque complètement leur signification concrète, ils n’en gardent qu’un relief, une vivacité plus grande qu’ils communiquent à l’idée.

Nous devons trouver, dans les formes employées par tel ou tel écrivain et dans celles qu’il s’interdit, la révélation des procédés particuliers de son esprit ; nous devons pouvoir restituer la nature des images qui naissaient dans son esprit, la manière propre dont les objets et les idées lui apparaissaient. Il faut évidemment, pour que le procédé puisse donner quelque chose, s’adresser à un véritable artiste, non à quelque copiste plus ou moins adroit. Rien n’est plus aisé aujourd’hui que de se faire à volonté, avec un travail suffisant, un style très imagé sans avoir une imagination bien vive : il n’y a qu’à s’inspirer de bons auteurs, mais chez ceux-ci, chez les maîtres, c’est bien l’esprit lui-même qui paraît à travers la forme.

Il est facile de retrouver chez les écrivains contemporains certains types déterminés de nos jours par la psychologie normale et la psychologie morbide. Je n’ai pas à rappeler à mes lecteurs les travaux de M. Galton[1] de M. Charcot et de ses élèves[2] J’ai essayé ailleurs, dans un essai de psychologie appliquée à la littérature, de comparer divers auteurs au point de vue de la qualité des images qu’ils employaient le plus volontiers et des effets particuliers qu’ils pouvaient obtenir ainsi[3]. Mais notre but ici est différent ; c’est toujours l’abstraction que nous devons avoir en vue. Il faut donc rechercher dans la littérature les manifestations de cet état d’esprit à moitié concret, à moitié abstrait où l’idée reste engagée dans l’image, où l’image prend dans certains cas la valeur générale de l’idée, en tâchant d’interpréter avec le plus de précision possible les données que nous pourrons rassembler.

Pour montrer la différence de l’idée, même de la représentation, de l’impression abstraite avec l’idée abstraite-concrète, nous pou-

  1. Galton, Mental imagery, Number form, etc., in Inquiries into human faculty and its development.
  2. Voir, surtout pour la question de la parole intérieure : Féré, les Troubles de l’usage des signes (Revue philosophique) ; Bernard, de l’Aphasie ; G. Ballet, le Langage intérieur et les différentes formes de l’aphasie. Voir aussi mon article sur le Langage intérieur et la Pensée (Rev. phil., janvier 1886.)
  3. De la description pittoresque. (Revue bleue, 17 juillet 1886.)