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même des propositions absolument contradictoires : ce sont des propositions ayant un sens, lequel présente une apparence de contradiction. Voilà ce que nous entendons par mystères, et nous ne pensons pas que les théologiens les entendent autrement.

Vérifions cette doctrine sur les principaux mystères chrétiens. Les trois plus grands mystères sont : la Trinité, l’Incarnation et la Rédemption, tous trois liés ensemble et faisant un système indissoluble. Or, si l’on écarte de ces trois dogmes l’élément incompréhensible qui les constitue mystères, on verra que ce qui reste au fond, ce sont de véritables solutions métaphysiques.

Le mystère de la Trinité consiste à dire qu’il y a en Dieu trois personnes qui ne sont pas trois dieux, mais qui ne font qu’un seul et même Dieu. En outre ces trois personnes sont égales entre elles, quoique la seconde soit engendrée par la première, et que la troisième procède des deux autres. Le Père est créateur ; mais le Fils est aussi créateur, et le Saint-Esprit l’est également. Où réside le mystère ? Il est dans le dogme de l’unité de substance, coïncidant avec la pluralité des personnes. Il semble qu’unité de substance et unité de personne soient et ne puissent être qu’une seule et même chose. Cependant c’est là une doctrine si peu contraire à la raison qu’on peut même demander si elle est supérieure à la raison. Le panthéisme au moins le nierait, puisque sa prétention est précisément de concilier l’unité de substance avec la multiplicité infinie des personnes. Aujourd’hui même, dans certaines conditions maladives, on croit voir une certaine pluralité de personnes se manifester dans un seul et même individu. C’est donc une question sur laquelle la métaphysique peut être divisée : elle ne doit donc reprocher à la théologie une doctrine qui, même métaphysiquement, pourrait être soutenue. En tout cas, ce qu’on ne peut contester, c’est que la doctrine trinitaire offre un sens et même un sens clair à l’esprit.

En effet, d’une part nous savons ce que c’est que l’unité de substance, puisque nous la sentons en nous-mêmes ; de l’autre nous savons ce que c’est qu’une personne, puisque nous en sommes une ; ce qui nous échappe, c’est comment concilier l’unité avec la multiplicité. À la vérité dans le moi l’unité du sujet se concilie très bien avec la pluralité des attributs ; mais ce qui fait la différence, c’est que, dans le dogme de la Trinité, il ne s’agit pas seulement d’attributs, mais de personnes, dont chacune, à ce qu’il semble, doit être un être à elle seule, comme en nous-même, puisque nous sommes à la fois, au moins à l’état normal, un seul être et une seule personne. Ainsi les deux termes du mystère nous sont connus et sont compris par nous : ce qui est obscur, c’est le comment de leur union. Le dogme