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ADAM.pascal et descartes

pour différents liquides[1]. Mais, cette hauteur limitée, il en cherchait la cause dans la nature de la pompe et surtout la nature des liquides, puisque la hauteur variait de l’un à l’autre suivant la pesanteur spécifique de chacun.

Torricelli eut le mérite de chercher plutôt cette cause au dehors dans le poids de l’air qui pèse sur la surface libre de l’eau et fait obstacle à celle qui est dans le tuyau et qui tend à redescendre. De plus, Torricelli, laissant là les pompes, imagina une expérience nouvelle, où un tube, rempli de mercure, ne pouvait se vider, quoique dressé verticalement dans une cuvette, et bien que le mercure abandonnât le haut du tube pour tomber en partie jusqu’à une certaine hauteur.

Petit répéta l’expérience devant Pascal. Celui-ci s’en empara aussitôt, et la fit sienne par la façon dont il la modifia. D’abord, le vide qu’on observe ainsi dans le haut du tube, est-il limité, ou bien peut-il s’étendre indéfiniment suivant l’espace qu’on lui donne ? Pascal montra, à l’aide de tuyaux « de toutes longueurs et dimensions », que ce vide n’a point de limites. Ensuite, la hauteur du vif-argent, ou celle de l’eau dans les pompes, est-elle aussi limitée dans chaque cas, selon la nature du liquide ? Non, cette hauteur peut varier, et les variations répondent exactement à celles de la pression de l’air. Voilà donc enfin trouvée la cause du phénomène, mais après combien de réflexions et d’inventions ! Il fallut détruire le principe péripatéticien, que les éléments ne pèsent pas dans eux-mêmes, ou que le poids de l’eau ne se sent pas dans l’eau ni celui de l’air dans l’air, et pour cela Pascal n’avait d’autre appui que Stevin. Encore Stevin n’avait-il étudié que l’équilibre des corps dans l’eau, comme Torricelli plus tard étudia seulement celui des liquides dans l’air. Pascal combina les faits établis par le premier avec la cause soupçonnée par le second : il appliqua ainsi à la pression de l’air les mêmes lois trouvées par Stevin pour la pression de l’eau, et formula des propositions universelles sur l’équilibre de tous les fluides, ou, comme il dit, de toutes les liqueurs. Enfin, par un dernier et décisif effort, il sut couper à la racine ce nouveau préjugé, que la hauteur dans les pompes est toujours la même pour chaque liquide et demande par conséquent une cause invariable : là-dessus il avait contre lui Galilée et Torricelli ; tout au plus rencontra-t-il l’appui de Descartes.

Le philosophe ne fut donc à Pascal pour sa grande découverte qu’à peine un auxiliaire, et même plus dangereux qu’utile. Il ne

  1. Je cite d’après Th. Henri Martin (Galilée, p. 320), qui renvoie au t.  XIII, p. 20-22 des Œuvres de Galilée, édit. Alberi. Florence, 1842-1856.