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le même Roberval, sans doute après avoir réfléchi aux objections de Descartes, rapporte ensuite le fait à la pesanteur de l’air, ce qui lui attire cette fois les critiques du péripatéticien Piérius : celui-ci lui demande si c’est là une chose certaine, en mathématiques, que l’air est pesant ? En revanche il le félicite d’admettre enfin, au lieu du vide, le plein dans le haut du tube. Le revirement de Roberval avait donc été complet[1].

Quant à Étienne Pascal lui-même, il avait toujours été enclin, d’une part, à admettre le vide ; et, d’autre part, il n’était pas encore entièrement persuadé que la colonne d’air est la cause du phénomène, alors que depuis six mois déjà Pascal avait mandé à M. Périer de faire l’expérience du Puy-de-Dôme : dernière leçon de prudence scientifique que ce père éclairé donnait à son fils, et que celui-ci, on l’a vu, avait scrupuleusement suivie[2].

Nous voici enfin arrivés à cette grande expérience du Puy-de-Dôme qui devait renverser et l’autorité des anciens et les raisonnements de quelques modernes, et devant laquelle il fallut s’incliner, parce que « dans la physique les expériences sont les véritables maîtres ». Le 15 novembre 1647, Pascal écrivit à son beau-frère, M. Périer, de comparer la hauteur du vif-argent dans le tube, au bas et au sommet de la montagne voisine de Clermont. Cette hauteur devait être moindre, pensait-il, au sommet. Et ce serait une preuve que le vif-argent reste suspendu dans le tube par l’effet de la pesanteur et pression de l’air : comme celle-ci diminue, à mesure qu’on s’élève,

  1. Lettre de Jacqueline Pascal à Mme Périer, du 25 sept. 1617. Cf. Les principes du devoir et des connaissances humaines, par Roberval, §  25, p. 249 des Fragments de philosophie cartésienne, publiés par V. Cousin, 1845. — Enfin Pierius : « His diebus Dominus de Roberval Mathematicarum disciplinarum professor meritissimus hanc experientiam publice videndam exhibuit….. Aperte fatetur partem illam tubi superiorem vacuam non remanere, quod magni est momenti in Ma— thematico qui contrariam sententiam huc usque mordicus docuerat (p. 14-15)….. Primo vellem non recurrisset ad gravitatem aeris prementis omnia hæc inferiora….. Sed quæso estne hæc ipsa gravitas et columna aeris res apud Mathema— ticos certa ? Vidi clarissimum et in omni experientiarum genere exercitatissimum virum qui multas moveret difficultates e Mathematica principiis desumptas quibus refelleretur hæc eadem gravitas et columna aeris… » (P. 20 de la Responsio er peripatetica Philosophia principiis desumpta, 1648.)
  2. M. Petit, dans sa lettre à M. Chanut du 19 nov. 1646, dit : « J’en fis le récit à votre bon ami et le mien, M. Pascal, qui fut ravi d’ouïr parler d’une telle expérience, tant pour sa nouveauté que parce que vous savez qu’il y a longtemps qu’il admet le vide. » — Et, en 1648, M. Pascal le père écrit au P. Noël, sur l’opinion touchant la suspension du vif-argent dans le tube par la pesanteur de la colonne d’air : « Je veux aussi proposer mes difficultés à quelques autres personnes,… que je vois de même incliner à cette opinion, et de laquelle je ne suis pas moi-même peu persuadé, bien que je ne le sois pas entièrement. » (t.  III, p. 63-64 de la petite édit. de Pascal, in-18.)