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perd de vue le problème de l’origine de la notion d’espace, pour considérer l’espace en lui-même, comme chose et comme nature, se montre-t-il disposé à mettre le caractère apriorique de l’espace, non plus dans une intuition indépendante de l’expérience, mais dans une loi imposant aux phénomènes la forme extensive, comme condition essentielle à remplir par eux pour nous devenir des objets d’expérience. Voilà pourquoi, après avoir dit[1] que « l’espace n’est pas un concept discursif, ou comme on dit, un concept universel de rapports de choses en général, mais une intuition pure », Kant déclare[2] que « tout ce qui, dans notre connaissance, appartient à l’intuition, ne contient que de simples rapports, des rapports de lieu dans une intuition (étendue), des rapports de changement de lieu (mouvement), et des lois qui déterminent ce changement (forces motrices) ». Et plus tard[3], raisonnant sur le temps, — mais tout ce qu’il dit alors du temps s’appliquerait rigoureusement à l’espace, — il prouve la dépendance nécessaire des phénomènes entre eux par cette raison que, faute de cette dépendance, leur succession dans le temps serait inintelligible, puisque « le temps n’étant point perçu en lui-même », et les parties du temps n’étant point intrinsèquement différentes les unes des autres, il est impossible que ce soit le temps lui-même qui assigne aux phénomènes leurs positions respectives dans la série des successions ; d’où il résulte que ce ne sont pas les phénomènes qui sont dans le temps, mais bien plutôt le temps qui est dans les phénomènes, dont il est seulement le rapport, en tant qu’ils se succèdent suivant certaines lois.

Ces contradictions ne sont pas particulières à Kant ; on les retrouve chez tous les Kantiens qui se sont occupés spécialement de la question. Nous n’en donnerons qu’un exemple. Des deux solutions opposées du problème de l’espace que nous venons de formuler, la première est incontestablement celle que Kant préfère, et s’il adopte la seconde, c’est pour un moment, et comme par accident. L’un des plus brillants adhérents de sa doctrine dans la philosophie française, M. Renouvier, parcourt identiquement le même chemin de l’une à l’autre, mais en sens inverse[4]. M. Renouvier est tout d’abord pénétré de cette idée que l’espace ne peut être qu’un ensemble de rapports entre les phénomènes, ce qui le suppose existant dans et par les phénomènes, et non les phénomènes par lui. Aussi se range-

  1. Barni, p. 78 de la traduction. Voy. aussi, P. 95, un passage plus long, mais plus explicite encore à ce sujet.
  2. P. 104.
  3. P. 250.
  4. Voy. Essais de critique générale (Logique, t.  I, p. 309 et suiv.).