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BINET.le problème du sens musculaire

plus conscience de leur position ; ils ignorent s’ils sont en état de flexion ou d’extension ; ils ne sentent pas quels sont les mouvements passifs que l’expérimentateur leur imprime. Briquet parle d’une hystérique, insensible de tout le corps, qu’on pouvait, après lui avoir bandé les yeux, enlever de son lit et étendre par terre, sans qu’elle eût la moindre idée de ce qui s’était passé. « Elle comparait la sensation qu’elle éprouvait ordinairement à ce que devrait éprouver une personne suspendue en l’air par un ballon. » J’ai observé à la Salpêtrière un certain nombre d’hystériques qui sont anesthésiques totales, et sur lesquelles il est facile de répéter des expériences analogues à celle de Briquet.

Personne ne peut élever le moindre doute sur l’existence de ces sensations de mouvement, provenant du membre qui se meut ; aussi n’est-ce pas à leur sujet que s’est élevée la grande discussion du sens musculaire. Néanmoins, quoique l’existence de cette sensibilité périphérique soit pleinement acceptée, on n’est pas encore arrivé à la définir exactement ; on n’a pas réussi, dans cette sensation totale de mouvement, à déterminer ce qui revient au muscle, à la peau et aux surfaces articulaires. Nous nous sommes, pendant ces derniers temps, beaucoup occupés de cette question. Ce qui en fait la difficulté, c’est le désaccord qui existe entre des observateurs également dignes de foi plusieurs, en refaisant la même expérience, arrivent à des résultats absolument opposés. La seule idée générale à laquelle nos recherches nous aient conduits jusqu’ici, c’est que la sensibilité d’une des parties d’un membre, peau, muscles, tendon, surfaces articulaires, arrive à suppléer graduellement la sensibilité perdue par les autres parties[1].

Quoi qu’il en soit, on comprend tout de suite l’impropriété du mot sens musculaire pour désigner ces impressions diverses, dont le point de départ périphérique est encore si mal défini. C’est à un double titre qu’on peut faire la critique de cette expression. Tout d’abord, il n’est nullement démontré que le phénomène de sensibilité que l’on veut désigner par ces mots réside en totalité ou seulement en partie dans les muscles ; on ne peut donc pas, sans faire une hypothèse non démontrée, qualifier cette sensibilité de musculaire. Trousseau et Schiff ont soutenu que la contraction d’un muscle entraine pour les parties voisines des changements de forme ou de tension, et que les phénomènes dits de sensibilité musculaire sont dus à des froissements ou à des tiraillements de la peau, des surfaces articulaires des ligaments ou des tendons. Duchenne de Boulogne est même allé

  1. Nous reviendrons sur ce point dans un autre travail.