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ANALYSES.ch. richet. Essai de psychologie générale.

instinctif n’est qu’un acte réflexe plus compliqué, et « la part de l’intelligence dans l’instinct est tout à fait nulle, comme elle est nulle dans l’acte réflexe[1]. »

L’animal a bien quelque conscience de ce qu’il fait, mais il ignore pourquoi il le fait : ses actes se déterminent fatalement les uns les autres sans que rien puisse venir déranger l’ordre régulier et immuable selon lequel ils se succèdent. Dans une même espèce les instincts sont identiques d’un animal à l’autre, toutes les pies s’y prennent de même pour construire leurs nids, elles sont incapables de progrès. Aussi M. Richet repousse-t-il l’idée que les instincts puissent dériver, partiellement, d’actes primitivement intelligents que l’habitude aurait rendus automatiques : il n’admet pas que l’hérédité puisse transmettre des tendances à accomplir sans les comprendre des actes qui auraient d’abord été accomplis avec discernement. D’après lui une aptitude intellectuelle peut se transmettre, mais non la tendance à accomplir un acte intelligent ou qui a été intelligent. « Il y a, dit-il, contradiction entre la transmission héréditaire fatale, et l’acte intelligent, qui implique une détermination librement consentie et méditée[2]. »

D’ailleurs M. Richet pense qu’il n’existe pas d’exemple d’acte intelligent qui, à force d’être répété, soit devenu inintelligent. L’homme ne peut agir sans penser à ce qu’il fait, sans réfléchir sur ses actes : aussi n’y a-t-il pas chez lui place pour de véritables instincts ; ses ancêtres ont bien pu lui léguer des émotions, des sentiments, mais ils ne pouvaient lui transmettre des instincts. « Et cependant l’instinct semble révéler une intelligence supérieure · · · · · mais cette intelligence n’est pas dans l’animal qui exécute ces actes. Elle n’est ni en lui, ni en aucun de ses ancêtres, car aucun n’a jamais songé au grand but qu’il exécutait. L’intelligence est dans la loi de la sélection naturelle, qui semble méthodiquement poursuivre ce grand but, le triomphe des organismes perfectionnés[3]. »

Toutes les variations de l’instinct proviennent de l’action du milieu, elles sont toutes accidentelles et dues au hasard seul : l’animal est lentement transformé par son milieu, mais il reste entièrement passif. La loi qui domine toute la théorie de M. Richet sur l’instinct est la suivante : « La forme de la réponse à l’irritation périphérique est déterminée par l’organisation de l’être. » Cette loi, dit-il, n’est autre que la loi de finalité des êtres[4]. Sélection et finalité, survivance des plus aptes et progrès sont des termes synonymes pour M. Richet, et c’est par la finalité qu’il explique tous les instincts des animaux : c’est une explication générale qui s’applique à tous les cas. Les instincts d’un animal sont déterminés par son organisation, cette organisation est le produit du milieu où ont vécu ses ancêtres, et cette action du milieu a toujours été conforme à

  1. Psych. gen., p. 108.
  2. id., p. 110.
  3. id., p. 111.
  4. id., p. 89.