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P. JANET.actes inconscients dans le somnambulisme

IX

Avant d’examiner davantage le second somnambulisme et de poursuivre dans cet état l’étude des actes inconscients, il faut essayer de résoudre une difficulté qui se présentera sans doute à l’esprit des lecteurs comme elle s’est présentée au nôtre. L’état de Léonore est-il bien un nouvel état psychologique, une nouvelle synthèse des phénomènes conscients ? N’est-ce pas simplement une hallucination très complexe pendant le somnambulisme aboutissant à un de ces changements de personnalité que M. Richet a étudiés sous le nom d’objectivation des types ? Sans pouvoir rien affirmer de définitif, nous nous contenterons d’exposer quelques raisons qui nous empêchent d’assimiler le personnage de Léonore à ces changements ordinaires de personnalité par hallucination.

Il est assez facile d’obtenir sur ce sujet ces objectivations des types. Pendant le somnambulisme ordinaire, dans l’état de Léontine, il suffit, par un des procédés de suggestion qui agissent sur ce sujet, de lui commander l’hallucination désirée. Je l’ai métamorphosée ainsi en grande princesse, en général d’armée, en petite fille de dix ans, en mariée de village, en médecin de campagne, etc. Elle apporte quelquefois dans ces rôles une force d’imagination et une intensité de vie extraordinaires. Mais quel que soit le changement opéré on constate toujours certains caractères que j’emprunte encore à l’état de la mémoire. Pendant un de ces changements de personnalité, Léontine ne garde aucun souvenir des autres changements. Ainsi joue-t-elle le rôle d’une grande princesse ? elle ne sait pas ce que je veux dire quand je lui parle du costume de général qu’elle avait l’instant précédent. Elle ne se souvient pas de l’état de veille ; étant princesse elle ne sait pas ce qu’est B. et ne veut même pas croire que c’est une paysanne habitant sur ses terres. Elle ne se souvient pas non plus de l’état de somnambulisme et du personnage de Léontine ; inutile d’ajouter qu’elle ne se souvient pas davantage du second somnambulisme et du personnage de Léonore. Elle a absolument oublié ce qu’elle savait dans ces états ; par exemple, elle ne sait plus mon

    ramène… le sujet n’est plus en communication qu’avec l’opérateur… Je suis porté à croire qu’avec un sujet suffisamment sensible, on pourra déterminer ainsi de nouvelles phases présentant les divers caractères attribués aux somnambules lucides jusques à l’état extatique décrit par Charpignon. » (De Rochas, les Forces non définies, 1887, à l’appendice.) Enfin, nous signalerons dans le dernier article de M. Gurney, « Stages of hypnotic Memory », de nombreux exemples de faits évidemment analogues.