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dans la position voulue pour écrire. Mais j’ajouterai que les choses se passent de même pour tous les objets. Je mets dans la main gauche de B. (le côté gauche est complètement anesthésique) une paire de ciseaux et je cache cette main par un écran. B., que j’interroge, ne peut absolument pas me dire ce qu’elle a dans la main gauche et cependant les doigts de la main gauche sont entrés d’eux-mêmes dans les anneaux des ciseaux qu’ils ouvrent et ferment alternativement. Je mets de même un lorgnon dans la main gauche ; cette main ouvre le lorgnon et se soulève pour le porter jusqu’au nez, mais à mi-chemin il entre dans le champ visuel de B., qui le voit alors et reste stupéfaite : « Tiens, c’est un lorgnon que j’avais dans la main gauche. » Ces faits ne confirment-ils pas ce que nous avions déjà dit dans un précédent travail à propos des expériences faites sur L. « Par curiosité j’ai mesuré à l’esthésiomètre la sensibilité tactile d’Adrienne (l’inconscient) et, tandis que L. était incapable de sentir même une forte brûlure faite subitement, Adrienne apprécie fort bien l’écartement des deux pointes de l’esthésiomètre comme pourrait faire une personne normale… L’anesthésie hystérique n’est pas une véritable anesthésie, c’est-à-dire la destruction de la sensation, c’est une simple dissociation des phénomènes psychologiques, telle que toute sensation ou toute idée enlevée à la conscience normale subsiste encore et peut être retrouvée comme faisant partie d’une autre conscience[1]. » Nous sommes heureux que MM. Binet et Féré aient vérifié cette hypothèse.

Une autre remarque que nous voulions faire à propos de ces actes inconscients obtenus grâce à l’anesthésie du sujet est la suivante. L’immobilité cataleptique du membre anesthésique pendant la veille n’est pas obtenue, on l’a dit souvent, sur tous les sujets, même quand ils sont anesthésiques. À mon avis, il faut ajouter un mot : elle n’est pas non plus obtenue par tous les opérateurs. Je m’explique : si pendant que B. est bien éveillée je soulève son bras gauche sans qu’elle le voie, ce bras reste en l’air assez longtemps. Mais un autre jour je prie une autre personne, M. X., de répéter cette expérience en mon absence et dans les mêmes conditions. Eh bien, quand le bras gauche a été soulevé par X., il ne reste pas un instant, il retombe lourdement. B. n’a pas senti davantage cependant, mais son bras obéissait quand je le mettais en l’air et il n’obéit pas quand X. le soulève. Autre exemple : Je mets moi-même le bras anesthésique en l’air, il reste immobile, mais il est fort léger et par le plus petit attouchement je puis le déplacer dans tous les sens. M. X., avec qui

  1. Rev. phil., mai 1887, p. 462.