Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXV, 1888.djvu/210

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
200
revue philosophique

che moins à dégager la loi métaphysique des expériences qu’il cite qu’à montrer que la vérité à priori est bien contenue dans un exemple particulier. Ils appellent en effet la plupart des lois métaphysiques des principia per se nota, ce qui suppose qu’on les reconnaît vraies dès qu’on les entend énoncer. Pour eux les faits rapportés par Aristote sont moins des faits que des exemples ; pour Aristote, c’était moins des exemples que des faits expérimentaux d’où l’intelligence devait dégager la loi. Il semble donc que les scolastiques, même les plus grands, aient ici altéré en quelque façon la pensée profonde d’Aristote et il ne parait pas que le P. de Régnon ait évité entièrement ce reproche.

On pense bien que l’auteur ne s’est pas borné à nous introduire in medias res et à nous faire une théorie des causes. Il nous entretient longuement de la nature, de la formation, de la réalité et du principe de la métaphysique. Ce principe, d’après lui, est le principe de contradiction. On se demande comment de ce principe, tout vide et formel, simple règle de la possibilité de la pensée, l’auteur pourra tirer toutes les réalités causales par voie de simple déduction. Voici comment il se tire de cette difficulté. Pour lui, dire : A n’est pas non-A, c’est dire : l’Être n’est pas le non-Être, et cette seconde formule équivaut à celle-ci : l’Être prime le non-Être. C’est cette dernière formule que le P. de Régnon oppose à l’hégélianisme qui, d’après lui, repose sur le principe contraire : le non-Être prime l’Être. Ces formules et ces oppositions reparaissent bien des fois dans le volume et l’auteur soutient que, selon que l’on adopte l’une ou l’autre, on se trouve rangé parmi les partisans ou les adversaires de la raison. Je ne veux pas ici discuter la pensée fondamentale de Hegel, qui ne me paraît pas avoir toujours été assez compris, en particulier par le P. Gratry, à qui se réfère le P. de Régnon (p. 119, note 1), je ne conteste pas le bien fondé de l’opposition qu’établit l’auteur, ni la valeur métaphysique de la formule, mais je me demande si la formule : l’Être prime le non-Être, est bien logiquement identique à la formule : l’Être n’est pas le non-Être. Qui ne voit que la première formule suppose et admet une primauté, qui ne se trouve pas même indiquée dans la seconde ? En admettant que l’Être est supérieur au non-Être, vous ne posez pas un principe évident de soi, mais vous avancez une proposition qui suppose résolue la redoutable question du pessimisme et de l’optimisme ; or, il semble qu’une telle proposition ne doit point se placer au début de la métaphysique, mais à la fin. M. Paulhan disait récemment — et c’est un point sur lequel il faudrait insister encore — que toute la morale change selon que l’on est optimiste ou pessimiste ; mais il n’est peut-être pas nécessaire que cette question soit décidée pour construire la science ou, s’il en était ainsi, j’ai bien peur que nous ne fussions « au rouet ». Il y a quelque imprudence à vouloir faire reposer sur des vérités qui paraissent élémentaires — qui ne le sont pas — l’édifice entier de la métaphysique. Cela est ici d’autant plus vrai que la théorie des causes ne semble pas avoir