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cristaux dissymétriques, sur la génération spontanée et les germes vivants. Ces expériences invoquées contre la théorie de l’irréductibilité de la vie à la physique et à la chimie, il les expose aussi et tâche de les interpréter de manière à ce que sa théorie n’en souffre pas. Je pense que les évolutionnistes lui reprocheraient de déclarer impossible ce qui n’a pas encore été accompli et de fonder ses convictions sur une impossibilité relative due à notre ignorance actuelle. Ils feraient remarquer que bien des choses ont paru impossibles, jusqu’à ce qu’elles aient été accomplies et montreraient que le domaine de la force vitale se réduit de plus en plus et qu’on espère le voir disparaître un jour. Quoi qu’il en soit, cette partie du volume de M. Cochin me semble aussi intéressante que bien menée.

L’auteur m’a paru beaucoup moins heureux en ce qui concerne la philosophie générale. Ici, il n’est plus sur son terrain, mais comme il a voulu manifestement faire œuvre de philosophe, nous avons à examiner et à critiquer sa philosophie. M. Cochin ne se contente pas de séparer absolument le règne organique du règne inorganique, il sépare non moins résolument l’âme de la vie. « Matière pondérable, germe vivant, âme intelligente : ces trois éléments dans notre univers ont été l’objet de trois créations spéciales et ne sauraient dériver les uns des autres, ils nous apparaissent comme trois mondes associés mais distincts, et comme une sorte de trinité dans la nature créée. Chacun de ces trois mondes est soumis à des lois particulières que l’expérience et l’observation nous permettent de connaître. » Il n’est pas nécessaire sans doute de discuter ici l’hypothèse peu utile du Dieu créateur. M. Cochin ne fait rien ni pour donner de nouvelles raisons en faveur de cette théorie, ni pour écarter les objections qu’elle soulève. En matière de philosophie générale d’ailleurs, M. Cochin discute assez peu et prouve beaucoup moins encore. Il paraît d’ailleurs beaucoup moins au courant du mouvement philosophique que de la science chimique, et s’il reproche à Spencer de parler « de la philosophie en chimiste et de la chimie en philosophe », peut-être pourrait-on dans un autre sens, lui adresser une partie du même reproche. On peut remarquer d’abord que faire de Spencer un positiviste n’est pas parfaitement exact : je sais bien que le mot de positivisme a pour le public un sens très étendu, mais dans un ouvrage philosophique, il vaut mieux marquer les nuances, surtout si l’on se rappelle que des positivistes comme Littré ont toujours repoussé la théorie évolutionniste surtout appliquée à l’univers en général — celle que combat M. Cochin, et ont vu une tentative malheureuse dans le fait de chercher à ramener une science supérieure à la science qui la précède dans la hiérarchie positiviste, soit la sociologie à la biologie ou la biologie à la chimie. Cette tentative était pour les positivistes le vice du matérialisme. On se demande aussi ce que vient faire une citation de Comte sur l’impossibilité de l’observation intérieure personne aujourd’hui, que je sache, ou presque aucun philosophe n’ayant adopté les idées de Comte sur ce sujet, et ceux-là surtout s’en