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STRICKER.de la parole et des sons intérieurs

que discutent les auteurs les plus divers : médecins, philologues, philosophes, on ne peut guère aller trop loin dans l’examen de ce qui constitue le fond même de la question.

Représentons-nous donc une vaste maison d’habitation dont les nombreux habitants sont isolés dans des cellules. Au milieu de la façade se trouve établi un appareil qui aura autant de touches qu’il y a de sons humains. Quand on pèse sur l’une d’elles, le son correspondant est formé par une machine à parler qui est mise en mouvement par les touches. Je désignerai, pour plus de brièveté, l’appareil à touches et la machine à parler, par le terme d’appareil du langage. Imaginons ensuite deux hommes qui auraient à transmettre, du dehors, à ce dernier appareil, l’un, les signes d’un télégraphe optique, l’autre, les sons d’un téléphone. Appelons l’un de ces gardes « écouteur », l’autre, « vigie ». Qui que ce soit des deux qui agisse sur les touches, la réaction s’effectuera de la même manière. Les frappe-t-on de manière à produire le mot « pater », l’appareil répètera le même mot.

L’appareil du langage se trouve avec les habitants de la maison en relation telle que, dès que l’appareil aura articulé le mot « pater », un certain habitant de la maison sera incontinent réveillé. Mais le même habitant peut l’être également au coup de cloche de son voisin de cellule, et au même moment où il se lèvera il réagira par un certain conducteur sur les touches de l’appareil qui reproduira le même mot « pater ». Mais cet effet peut être de diverse intensité. Les touches peuvent être si fortement ébranlées que le bruit peut en être perçu au dehors. On pourra entendre le mot « pater » hors de la maison. D’un autre côté, l’effet peut en être si faible, les touches peuvent résonner si faiblement que le bruit n’en pourra être perçu que par l’observateur attentif à l’intérieur de la maison.

Je comparerai maintenant les habitants de la maison aux représentations qui, dans notre conscience, doivent se rattacher aux mots pour qu’ils puissent être compris. Quand quelqu’un me prononce un mot d’une langue qui m’est inconnue, je puis très bien le saisir comme tel, mais je ne sais pourtant pas ce qu’il représente. C’est ainsi que l’enfant, en apprenant à parler, doit saisir en même temps le mot et ce qu’il représente. On lui montre par exemple dans un livre d’images un cheval, on pose son doigt sur l’image et on prononce le mot cheval ; ensuite, on lui montre un cheval vivant qu’on lui nomme également. Par là, en apprenant le mot cheval, il apprend en même temps à y rattacher l’image du cheval vivant et du cheval peint. Et c’est ainsi que nous devons rattacher une idée à chaque mot de notre langue. Je me suis expliqué sur ces relations