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l’auditeur sent croître sa puissance d’exécuter un travail, plus il est capable d’élever un certain poids à une certaine hauteur ; il est donc naturel d’associer l’acuité des sons avec la direction de bas en haut et la gravité avec la direction de haut en bas : c’est là une association absolument subjective, toute physiologique, et que l’on serait disposé à considérer comme ayant été constante pour tous les hommes. Cependant il n’en est rien ; elle n’a pas été générale chez les Grecs et elle n’est devenue absolue qu’à partir d’une certaine époque tous les historiens de la musique grecque sont d’accord sur le fait[1].

II. Disons d’abord les textes d’après lesquels les Grecs ont eu conscience de l’association, normale pour nous.

Aristoxène (320 av. J.-C.) appelle ἐπίτασις, élévation, le mouvement du grave vers l’aigu ; ἄνεσις, relâchement, le mouvement de l’aigu au grave[2].

Dans les tables d’Alypius, les trois modes primitifs : dorien, phrygien, lydien, vont du grave à l’aigu[3].

Dans ces passages d’Aristoxène le mot hypo (sous) marque le grave : « Chez les harmoniciens, les uns déclarent le ton hypodorios le plus grave de tous ; le dorios plus aigu d’un demi-ton que celui-ci… D’autres ajoutent dans le grave la flûte hypophrygienne[4]. »

Les Anciens, d’après Aristide Quintilien, appelaient premier le tétracorde hypaton ou le plus grave[5].

Dans l’énumération des sept tons principaux : mixolydien, lydien, phrygien, dorien, hypolydien, hypophrygien, hypodorien, hypo est employé dans son acception moderne, c’est-à-dire au grave[6]. Même sens dans le système aristoxénien des treize tons[7] et le système néo-aristoxénien des quinze tons[8].

Voici maintenant les textes décisifs en faveur de l’association contraire.

Au iie siècle après J.-C., Ptolémée écrit : « Ceux qui ont introduit la doctrine des huit tons[9] employaient improprement le mot hypo pour

  1. C’est à tort que Vincent a affirmé que les Grecs ont toujours associé l’aigu avec le bas, le grave avec le haut. (Notices sur trois manuscrits grecs relatifs à la musique dans Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque du roi, t.  XVI, 20 partie, p. 76.)
  2. Stoicheia, pp. 11-12 (éd. Meibom).
  3. id., p. 75.
  4. Aristoxène, Stoicheia, p. 37 (ed. Meibom). Gevaert, Histoire et Théorie de la musique de l’Antiquité, t.  I, p. 249.
  5. P. 10 (éd. Meibom).
  6. Boèce, IV, 15. Bacchius, pp. 12-13 (éd. Meibom). Gevaert, Histoire de la musique de l’Antiquité, t.  I, p. 214.
  7. Gevaert, t.  I, p. 225. Aristide Quintilien, p. 23 (éd. Meibom).
  8. Martianus Capella, p. 181 (éd. Meibom), Gevaert, t.  I, p. 225.
  9. Ptolémée fait allusion à l’hypermixolydien qui s’est ajouté aux sept tons ci-dessus nommés.