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cher et elle ne se pique pas de logique. À tout le moins ne faut-il pas dire que l’individualisme soit le meilleur système qu’on puisse imaginer, et c’est ce que M. Schaeffle veut démontrer.

L’opuscule de M. Schaeffle n’est donc ni une déclaration de collectivisme, ni, comme on l’a dit bien légèrement, un simple jeu d’esprit. Il se propose seulement de nous montrer, isolé et comme à l’état de pureté, tout un côté des choses sur lequel les économistes ferment trop volontiers les yeux.

Il nous fait voir les questions économiques par leur aspect social. En ué mot, et ceci résume assez nettement notre impression, le meilleur moyen d’initier un jeune esprit aux problèmes de l’économie politique serait de lui faire lire concurremment la Quintessence du Socialisme de Schaeffle et les Harmonies économiques de Bastiat.

IV. Si nous ne nous trompons, de cet examen, quelque rapide qu’il ait été, on voit dès à présent se dégager le plan suivant lequel la science tend à s’organiser.

Il existe encore quelques penseurs qui ne croient pas à l’avenir de la sociologie. Leur argument favori est qu’ils n’en aperçoivent nettement ni l’objet, ni les divisions, ni le programme. Ils se défient d’une science que l’on annonce au monde comme une nouveauté, sans antécédent historique. Et en cela ils ont bien raison. Si vraiment, comme on l’a dit quelquefois, la sociologie datait d’Auguste Comte, si elle était à ce ce moment-là sortie du néant, nous partagerions cette juste défiance. Il n’y a pas plus de révolutions et de créations brusques dans le monde de la science que dans le monde des choses. Tout être, né viable, est le produit d’une évolution. Mais c’est une illusion de croire que la sociologie date d’hier et soit le fruit d’une brillante improvisation. Elle existait de tout temps, à l’état latent et diffus ; le grand service qu’ont rendu Comte et son école fut simplement de montrer l’unité de ces recherches, en apparence incohérentes, de donner à la science sociale un nom et une personnalité, et de l’intégrer dans le système des sciences positives. De tout temps, les phénomènes économiques, l’État, le droit, la morale, la religion ont été étudiés scientifiquemment, donnant ainsi naissance à cinq sciences qu’on a le droit d’appeler sociologiques.

Seulement il faut qu’elles restent fidèles à ce titre qu’elles oublient trop souvent. Voilà l’important progrès qui leur reste à faire. La science sociale, dit M. Maurice Block[1], « ne voit que les hommes, abstraction faite de ce lien extérieur qu’on appelle l’État. » En d’autres termes, la science dite sociale devrait étudier les hommes en supposant qu’ils ne vivent pas en société. En vérité, il vaudrait mieux lui donner un autre nom. — On nous répondra que l’État et la société sont deux choses distinctes. — Oui, mais à une condition, c’est qu’on voie dans l’État un lien tout extérieur, un système artificiel qui se surajoute

  1. Article Science sociale du Dictionnaire politique.