Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXII, 1886.djvu/78

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
74
revue philosophique

voisin et tire de son côté. De là des heurts, des froissements, des discordances douloureuses. Pour qu’il y ait plus d’harmonie dans les mouvements, il faut que les hommes se rapprochent, afin que chacun sente bien qu’il n’est pas seul au monde. Qu’ils s’unissent au sein de familles fortes et fécondes ! Qu’ils s’unissent en groupes corporatifs, sociétés de secours mutuels, sociétés coopératives, sociétés d’épargne collective et de prévoyance, syndicats professionnels, où l’individu trouve à la fois l’entraînement, l’exemple et la protection dont il a besoin. Mais que ces associations restent libres L’État est une machine trop lourde qui comprime tout ce qu’elle touche et qui ne pourrait que fausser les, ressorts si délicats de l’activité individuelle. Avec les meilleures intentions du monde, l’État asservit toujours ceux qu’il protège. Mais si ce n’est pas la contrainte, qu’est-ce donc qui poussera les hommes à s’associer ? Il ne reste plus que l’attrait moral. Et, en effet, avec une très grande finesse de psychologue, M. Coste énumère tous les moyens qui permettraient aux associations d’attirer à elles les individus et les capitaux isolés, de provoquer les premiers à l’épargne et de faire prendre goût à la vie corporative. Mais, pour mettre en œuvre ces différents moyens, il faut autre chose que des règlements d’administration et que les préceptes abstraits de l’économie politique. Il faut des hommes qui aient le sentiment de la délicatesse de la vie et de la complexité des mobiles qui mènent le cœur humain. C’est en effet un bien difficile problème de psychologie pratique que d’induire l’ouvrier à l’épargne. Il ne suffit pas, comme le croient économistes et socialistes, que le taux des salaires s’élève soit par l’effet d’une loi de sûreté publique, soit par suite d’un accroissement normal de la production. Il faut encore que l’épargne ait un but déterminant. « Le paysan l’a cet objectif, c’est l’acquisition du bétail ou de la terre. L’ouvrier des villes ne l’a pas ; lors même qu’il trouverait le moyen de l’épargner, il n’aurait pas la faculté d’employer directement son épargne à son propre profit. Partout où cette possibilité existe, l’épargne est abondante, le travailleur est heureux procurons-ta donc aux ouvriers de l’industrie ! » Or, elle ne peut leur être procurée, suivant l’auteur, que par des associations libres dirigées par des hommes de tête et de cœur.

Comme on le voit, l’auteur n’est pas un pur économiste ; du moins il n’hésite pas à faire intervenir en économie politique des considérations étrangères à cette science. D’ailleurs, les économistes vraiment classiques commencent à se faire assez rares. Avec la persévérance qui la caractérise, l’Allemagne cherche depuis longtemps, à travers des doctrines assez divergentes, la méthode économique nouvelle dont elle ressent le besoin, mais qu’elle n’entrevoit encore que confusément. En Angleterre, la foi au vieux libéralisme semble être assez fortement ébranlée. En France, enfin, depuis quelques années, des dissidences assez remarquables se sont produites au sein de l’économisme. Le Précis de M. Cauvès, les travaux de M. Gide marquent évidemment une tendance nouvelle. Au milieu de ces néo-économistes M. Coste occupe