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plus haut avaient acquis une sensibilité telle, que mes expériences réussissaient dans plus du tiers des cas. Les résultats variaient du reste suivant les jours. Je ne citerai ici aucune de ces expériences, car elles ne me paraissent rien présenter de plus intéressant que celles, si nombreuses, qui ont déjà été publiées par d’autres. Je me bornerai à conseiller aux expérimentateurs qui formulent mentalement une suggestion de vouloir fermement ce qu’ils tentent de suggérer, et de répéter plusieurs fois, mentalement, leur suggestion, jusqu’à ce que le sujet ait obéi, ou, en cas d’insuccès, jusqu’à ce que la fatigue les oblige à renoncer à l’expérience. Lorsque celle-ci réussit, on voit d’ordinaire le sujet en état de somnambulisme indiquer d’abord par quelques signes extérieurs variables (légers mouvements convulsifs, inspirations précipitées et profondes, mouvements de déglutition, etc., qu’il a senti la volonté de l’hypnotiseur, et ce n’est qu’après quelque hésitation qu’il finit par obéir à la suggestion. Quelquefois il n’obéit qu’après une résistance manifeste. Il m’a semblé que la suggestion mentale réussissait mieux et plus souvent quand elle était faite à l’état de veille, et qu’elle avait été précédée de quelques autres expériences destinées, si l’on veut me pardonner l’expression, à mettre le sujet « en train ».

En général, les expériences de suggestion mentale réussissent beaucoup mieux lorsque l’hypnotiseur est en présence du sujet que lorsqu’il en est éloigné de quelque distance. Toutefois, les deux personnes que j’ai citées tout à l’heure me sentaient quelquefois manifestement d’une pièce à l’autre du même appartement, lorsque je le voulais, et j’ai pu les endormir ainsi, alors que vraisemblablement ils ne soupçonnaient pas ma présence. L’une d’elles me sentait quelquefois très bien, lorsque je le voulais fermement, alors que j’étais dans la rue et elle à l’entresol d’une maison de la rue Cujas. Cette expérience, bien souvent répétée, réussissait assez fréquemment. Enfin, un soir que je sortais accompagné d’un de mes amis de chez l’un de ces sujets, étudiant en médecine, sur lequel je venais de faire quelques expériences d’hypnotisme, j’ai essayé, du palier de l’étage inférieur, à lui suggérer mentalement une paraplégie complète, et il m’a semblé y être parvenu. En effet, je ne pensais nullement à tenter l’expérience alors que j’étais près de lui, et l’idée ne m’en était venue qu’au moment même où j’allais la mettre à exécution. Aussitôt ma tentative faite, je remontai chez mon somnambule pour voir si la suggestion avait réussi. Je le trouvai assis dans un fauteuil, se plaignant d’avoir les jambes engourdies, et incapable de se lever. Mais ce fait est resté isolé, bien que j’aie essayé maintes fois d’en produire d’analogues ; aussi me garderai-je bien de lui accorder plus d’importance qu’il n’en mérite ; car, en pareil cas, il est au moins prudent de toujours se méfier des coïncidences fortuites.

Avant de terminer ce travail, je tiens à appeler l’attention sur un fait dont l’intérêt me semble indéniable. Je n’ai jamais guère cherché à le produire que sur un seul de mes sujets, l’étudiant en médecine cité plus haut ; mais d’autres expérimentateurs, M. Liebault entre autres,