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société de psychologie physiologique

physiologique[1], l’histoire d’une dame soumise pendant quelque temps à son expérimentation, chez laquelle il n’a jamais pu nettement provoquer la suggestion mentale, mais qui s’endormait uniquement lorsqu’il voulait l’endormir, et qui ressentait une sensation douloureuse dans la région précordiale lorsqu’il pensait à elle. Les faits du même genre abondent, et si j’ai cité celui de M. J. Héricourt, c’est parce que l’auteur a bien exposé la différence de degré qu’il y a entre les phénomènes de cet ordre, si nets et si faciles à constater sur son sujet, et la suggestion mentale vraie, à laquelle celui-ci était au contraire très réfractaire. J’ai observé moi-même un certain nombre de sujets, et notamment un homme de 27 ans et une femme de 24 ou 25 ans, chez lesquels cette influence spéciale était parfaitement nette. J’ai pu m’en convaincre, non pas une fois, mais constamment, tant que j’ai été en relations avec eux. Lorsque je me trouvais quelque part avec l’une de ces deux personnes et plusieurs autres, et que la conversation, se portant sur des sujets tout à fait différents de l’hypnotisme, personne n’y pensait, il me venait quelquefois l’idée de faire à l’improviste quelque expérience de somnambulisme, pour étonner un peu les assistants, et surtout ceux qui n’avaient encore rien vu de ces phénomènes. Mais aussitôt que je m’arrêtais sur cette idée, mon sujet, parfaitement éveillé, venait directement à moi et me priait instamment de le laisser tranquille. « Je sens parfaitement bien, disait-il, que vous allez me faire quelque chose. » Dans les deux cas, il s’agissait seulement d’une sensation vague, indéfinissable, et non pas d’une douleur précordiale, comme chez le sujet de M. J. Héricourt, ou de quelque autre sensation organique déterminée. Le sujet se rendait bien compte qu’il « me sentait », mais c’était tout, et je ne pouvais arriver à une analyse de sa sensation. Je pouvais aisément, surtout chez le jeune homme, provoquer le sommeil par un simple effort de volonté. Ce n’était pas là de la suggestion mentale, car j’ai bientôt reconnu qu’il arrivait au sommeil uniquement par l’intensité et la durée de l’impression qu’il ressentait lorsque je faisais un effort de volonté en pensant à lui. J’entends dire par là qu’il ne s’endormait pas parce que je voulais qu’il dormit, mais seulement parce qu’il sentait vivement que je m’occupais de lui mentalement : le sommeil hypnotique léthargique était l’aboutissant de cette sensation vague dont j’ai parlé tout à l’heure. Bien plus, au bout de quelques mois, j’étais arrivé à l’endormir malgré moi ; ainsi, malgré le désir que j’avais alors de le rendre témoin des expériences d’hypnotisme que je faisais sur un de nos amis communs connus, je ne pus y parvenir : il s’endormait lui-même dès que je cherchais à hypnotiser l’autre.

Ces phénomènes, étranges au premier abord, doivent nous apparaître comme une chose assez naturelle, si nous tenons compte des considérations que j’ai exposées plus haut. On remarquera que, dans ces faits, il s’agit presque toujours de sujets n’ayant été hypnotisés que

  1. J. Héricourt. Revue philosophique, t.  XXI, 1886, p. 200.