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société de psychologie physiologique

de ce genre, si l’on peut supposer que le sujet a obéi à la suggestion verbale et indirecte et non à la suggestion mentale directe, on ne peut pas l’affirmer d’une façon certaine.

Un phénomène capital relie tous ces faits, c’est l’inconscience de la perception sensorielle du sujet. Dans le cas où, immédiatement après qu’il a constaté nettement un fait de suggestion mentale, l’hypnotiseur interroge le sujet et lui demande, ainsi que je l’ai fait bien des fois, comment il a deviné sa pensée, la réponse est invariablement celle-ci : « Je n’en sais rien. J’ai bien senti ce que vous vouliez ; mais je ne sais pas comment. » Il est très important de remarquer qu’on peut obtenir la même réponse après une suggestion verbale. Il ne s’agit pas d’un oubli, le sujet se rappelle parfaitement le moment où la suggestion a été faite, et il se rappelle qu’il n’a pas senti comment elle lui a été faite. C’est bien là une perception inconsciente ; le sujet reçoit la sensation sans y prendre garde, cette sensation arrive à ses centres d’idéation, qui l’interprètent sans qu’il en ait conscience, et l’on est obligé d’admettre ce fait remarquable, que chez l’hypnotisé sensible à la suggestion mentale, le somnambule lucide des magnétiseurs, il y a à côté du moi conscient une personnalité psychique distincte, susceptible d’attention, de mémoire, d’intelligence et d’éducabilité, douée quelquefois d’une grande finesse et d’une grande puissance d’analyse, qui agit absolument en dehors du moi et à laquelle le moi obéit sans le savoir. Cet inconscient se perfectionne, chez le somnambule, en même temps que le moi conscient perd de sa netteté ; il y a rupture d’équilibre entre le conscient et l’inconscient au bénéfice de celui-ci, et l’on assiste à une interversion des rôles de chaque partie de cette dualité cérébrale psychologique normale.

Les développements dans lesquels je viens d’entrer en exposant la conception du mécanisme de la suggestion mentale que je considère comme la plus légitime, me permettent maintenant de la résumer dans les deux propositions suivantes :

1o La pensée de l’hypnotiseur qui fait une suggestion mentale se manifeste à l’aide de sa parole intérieure, qui est toujours accompagnée de mouvements, souvent très atténués, mais réels ;

2o Ces mouvements sont perçus inconsciemment par le sujet, dont l’hyperacuité sensorielle est alors extrême, surtout à l’aide de l’ouïe et de la vue. Inconsciemment aussi, ils sont interprétés et traduits en langage ordinaire ; car si le sujet a conscience de l’idée formulée, s’il sait souvent de qui elle vient, il ignore absolument comment elle lui a été communiquée.

Ce ne sont là, je le sais, que des hypothèses, mais au moins elles sont d’accord avec la science actuelle, et en particulier avec ce que l’on sait aujourd’hui des relations des sensations et du mouvement. Elles tendent à assigner des processus analogues à deux phénomènes qui ont d’ailleurs la même origine et la même fin. Si elles sont vraies, au moins dans leur ensemble, la limite entre la suggestion mentale et la