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gestion mentale peut tout aussi bien être obtenue, alors que l’hypnotisé tourne le dos à l’hypnotiseur. Je répondrai qu’on doit alors tenir compte des bruits qui accompagnent inévitablement les mouvements musculaires associés à la parole intérieure, et se demander, comme l’a fait M. Paul Tannery, si le sujet ne perçoit pas ces bruits imperceptibles pour les autres et n’est pas capable de leur assigner une signification. Quant à moi, je me rends très bien compte qu’il puisse y arriver aisément. Si je suppose, en effet, que le sujet se trouvant dans les conditions d’acuité auditive où la perception de ces bruits musculaires lui est possible, on lui fasse une suggestion verbale, je dois croire qu’à ce moment le sujet entend à la fois et la voix articulée et les bruits musculaires en question ; si donc on lui fait la suggestion verbale à voix assez basse pour qu’elle ne couvre pas ces bruits au point de l’empêcher de les différencier des bruits vocaux, il entendra, en même temps que chaque syllabe articulée, un bruit musculaire composé particulier. Ce dernier, lorsqu’il est entendu seul, ne devient-il pas, dès lors, le substitut de la syllabe articulée qu’il accompagne d’ordinaire ? Et ne conçoit-on pas que le somnambule comprenne bientôt ce langage aussi bien que l’autre ?

Que penser maintenant de la valeur des précautions qu’on prend d’ordinaire dans les expériences du suggestion mentale, pour éviter que la transmission de pensée se fasse par l’intermédiaire des sens du sujet ? Peut-on jamais savoir si ces précautions sont suffisantes ? Évidemment non ; et l’on est, quoi qu’on fasse, environné de causes d’erreur nombreuses dont on n’est jamais sûr de se garantir. Et si, laissant maintenant de côté les sens de l’ouïe et de la vue, qui sont les appareils ordinaires de réception du langage, je cherche à analyser les renseignements que peuvent donner au somnambule les sens de l’odorat, du toucher, de la température, etc., je vois nettement que, dans bien des cas, il peut, à l’aide de ces sens, arriver indirectement à savoir ce qu’on exige de lui. Il s’agit là de faits de suggestion mentale apparente. Je n’ai pas à m’en occuper ici, puisque l’interprétation que je propose s’applique aux cas où l’on voit le sujet obéir à un ordre simple, net, imprévu, direct, donné mentalement par l’hypnotiseur. Je me bornerai à signaler une des causes d’erreur les plus fréquentes : la suggestion verbale indirecte involontaire. Dans l’immense majorité des cas donnés comme exemples de suggestion mentale, on voit que l’hypnotiseur a avisé verbalement, avant l’expérience, un ou plusieurs des assistants de la suggestion qu’il allait tenter. Or, il n’est pas douteux que le sujet présente très fréquemment une acuité auditive suffisante pour entendre ce qui a été dit, bien qu’on ait parlé à voix basse et loin de lui. On a donc pu prendre pour de la suggestion mentale ce qui n’était que de la suggestion verbale. Cette suggestion indirecte est évidemment tout aussi efficace que si elle s’était adressée directement au somnambule : il suffit d’affirmer ainsi devant le sujet qu’on va lui suggérer quelque chose, pour que la suggestion s’effectue. D’ailleurs, dans quelques cas