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société de psychologie physiologique

même. Lorsque l’expérimentateur veut suggérer mentalement à son somnambule de lever la jambe, par exemple, il dit en lui-même : « Levez la jambe. — Je veux que vous leviez la jambe », et plus il veut donner cet ordre, plus il tend à articuler ses mots. On conçoit donc que le sujet puisse, comme le fait le sourd-muet, mais avec beaucoup plus de délicatesse, discerner ces mots presque articulés, par l’observation des mouvements extérieurs que détermine chez l’hypnotiseur le jeu très atténué des organes de la parole. Il n’y aura pas lieu de s’en étonner, si l’on songe d’une part à l’acuité sensorielle et intellectuelle extrême du somnambule, et, d’autre part, à la possibilité, chez le sourd-muet bien éduqué, de comprendre aisément, à l’aide de la vue, ce que dit un homme dont le visage est caché par une moustache et une barbe épaisses, de répéter exactement, avec toutes les nuances de prononciation, les mots d’une langue à lui inconnue, de distinguer à merveille les vibrations du larynx ou leur absence, de façon à reconnaître si l’interlocuteur parle à voix haute ou à voix basse, enfin de deviner quelquefois la pensée de la personne avec qui il a l’habitude de converser sans que celle-ci en ait conscience, et rien qu’en saisissant les quelques mots à peine articulés qui forment, chez beaucoup de gens, la charpente du langage intérieur. Or, il importe de le remarquer, l’hypnotiseur qui fait des expériences de suggestion mentale s’adresse à un sujet qu’il connaît déjà, et sur lequel il fait, souvent depuis longtemps, des expériences de suggestion verbale, beaucoup moins variées en réalité qu’en apparence. Ce qu’il veut suggérer mentalement, il l’a souvent déjà suggéré plus d’une fois. L’habitude et l’éducation interviennent ici puissamment ; les séries différentes d’idées énoncées amènent avec elles chez l’hypnotiseur des séries parallèles de gestes, d’attitudes, de jeux de physionomie, lesquelles | persistent, bien qu’à l’état d’ébauche, lorsque les paroles ne sont plus prononcées. Il finit par s’établir ainsi entre le sujet et l’opérateur une sorte de langage des signes, rudimentaire il est vrai, et dont l’opérateur n’a pas conscience, mais réel, et dans lequel les séries de mouvements, d’attitudes, de jeux de physionomie en question se décomposent en groupes dont chacun représente une idée. C’est là une variante du langage des signes de l’abbé de l’Épée, dans lequel chaque groupe de signes représente une idée indépendamment de toute expression phonétique donnée, tandis que dans celui-ci la mimique est associée aux mouvements musculaires très faibles de la parole intérieure. Ce langage, autant naturel que conventionnel, doit varier dans des limites assez peu étendues : certains des groupes de signes qui le constituent doivent se retrouver à peu près les mêmes chez des individus différents, qui se rapprochent les uns des autres par le caractère, l’éducation, ou les études auxquelles ils se livrent. Dès lors, le sujet qui aura appris à le comprendre d’un hypnotiseur pourra aisément aussi le comprendre, au moins en partie, chez un autre.

On me dira que cette hypothèse suppose au moins chez le sujet l’exercice du sens de la vue, et qu’elle tombe devant ce fait que la sug-