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société de psychologie physiologique

blisse, il n’en est pas moins vrai qu’on peut souvent la constater, bien qu’elle soit très variable chez les différents sujets, et aussi chez le même sujet, suivant les jours, et même pendant le cours d’une même expérience. Quant à l’apprécier psychologiquement, cela me semble absolument impossible. Pouvons-nous, par exemple, nous faire une idée de ce que nous entendrions autour de nous, si nous entendions quatre, six, dix fois mieux ? Je sais bien que, dans certains cas, par exemple dans la période d’excitation de l’intoxication chloroformique, ou après l’absorption du hachisch, l’acuité auditive est quelquefois très augmentée, mais ces exemples ne nous apprennent rien. Cette exagération de l’ouïe, se présentant d’emblée et à l’improviste sous l’influence d’un poison, ne réussit qu’à causer des erreurs d’interprétation des bruits de véritables illusions, ou même à produire une hyperesthésie sensorielle douloureuse ; elle n’est nullement comparable à celle du somnambule. Elle ne peut nous faire connaître ce que vaudrait, pour notre esprit, une acuité auditive beaucoup plus grande que la normale, c’est-à-dire quels renseignements un tel état de l’ouïe pourrait nous donner sur le monde extérieur. Pouvons-nous, en effet, nous faire une idée du phénomène qui suffirait à nous donner l’impression d’un bruit distinct, si, ayant une acuité auditive quatre, six, dix fois plus grande, nous étions capables d’arriver, par l’attention, à la différencier des autres bruits arrivant en même temps à notre oreille, ainsi que nous faisons lorsqu’au milieu d’une rue où passent à foison voitures et piétons, nous approchons notre montre de l’oreille pour nous assurer qu’elle n’est pas arrêtée ? Nous ne pouvons évidemment nous faire aucune idée de ce que nous pourrions arriver à entendre dans de telles conditions. Mais il est clair que si ces conditions se trouvent réalisées chez le somnambule, nous devons admettre qu’il possède alors une puissance auditive énorme. Le bruit d’une légère contraction musculaire, insaisissable au microphone, lui devient peut-être nettement appréciable. Ce que je viens de dire de l’ouïe, je pourrais tout aussi légitimement l’appliquer aux autres sens, avec quelques variantes. Le caractère principal de cette exagération de la sensibilité est d’être susceptible d’une augmentation progressive par le fait de la répétition des mêmes manœuvres hypnotiques suggestives, de l’éducation, du dressage. Ceci n’a rien qui puisse étonner, si l’on songe à quels résultats mène l’éducation des sens chez les individus à l’état normal, et surtout chez les infirmes qui, privés d’un ou plusieurs sens, sont obligés d’établir une suppléance à l’aide de ceux qui leur restent. Je rappellerai la perfection à laquelle peut atteindre le sens du toucher chez les aveugles, et la facilité avec laquelle les sourds-muets instruits par la méthode dite « méthode orale pure » peuvent lire la parole sur les lèvres.

L’acuité sensorielle n’est pas seule à s’accroître ainsi chez les hypnotisés ; souvent leur acuité intellectuelle s’accroît également dans la même proportion. Ainsi que chez les sujets qui sont sous l’influence du hachisch, et beaucoup plus que chez eux, on peut constater chez