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suggestion mentale, si le sujet est sensible et bien éduqué ; états hypnotiques divers, contractures, paralysies, hyperesthésies, anesthésies, transferts, etc. ; ou encore illusions, hallucinations, troubles de la personnalité, actes illogiques ou non, etc. Le phénomène le plus remarquable de la suggestion, la tendance irrésistible, inconsciente, de l’hypnotisé à la réalisation de l’idée suggérée, est la même dans les deux formes. Elles ne diffèrent pas non plus par leur origine, leur cause déterminante : dans les deux cas, cette cause est l’idée de l’hypnotiseur. Leur différence, apparente ou réelle, est dans le mécanisme de la transmission de l’idée de l’hypnotiseur à l’hypnotisé ; dans la manière dont le premier la manifeste et le second la recueille. Dans la première forme, l’hypnotiseur manifeste sa pensée à l’aide du langage. S’il s’agit du langage parlé, par exemple, les mots prononcés frappent l’oreille du sujet ; le centre des images auditives des mots reçoit l’impression sensorielle, puis de ce centre, qui est en communication avec les autres centres des images visuelles et motrices des mots, celle-ci se transmet aux centres d’idéation qui l’interprètent. Dans la deuxième forme de suggestion, l’hypnotiseur ne parle pas, mais comme, au dire de tous les expérimentateurs, il faut que la pensée soit nette pour que la suggestion réussisse bien, il donne à sa pensée cette netteté nécessaire en la formulant à l’aide de la parole intérieure. Comment l’hypnotisé recueille-t-il cette pensée, ou plutôt cette parole intérieure de l’hypnotiseur ? Là est l’inconnue. Il est évident que les centres d’idéation, et très probablement aussi les centres des images des mots sont impressionnés, mais cette impression ne paraît pas se faire, comme dans la suggestion verbale, par l’intermédiaire des sens.

II

Si j’ai réussi, dans les considérations qui précèdent, à préciser la manière dont doit être posé le problème, je dois maintenant chercher quels éléments nous possédons pour le résoudre. Examinons d’abord l’état des sens chez l’hypnotisé en état de somnambulisme. Par une contradiction au moins étrange, ce somnambule qui n’aurait pas besoin de ses sens pour subir la suggestion mentale, est souvent doué, nous le savons parfaitement bien, d’une hyperacuité sensorielle extrême. Il ne semble pas, il est vrai, que cet état de la sensibilité soit un des caractères constants du somnambulisme : les physiologistes[1] qui ont tenté de mesurer cette acuité sensorielle ont trouvé tantôt une augmentation, tantôt une diminution, en la comparant à celle du même sujet à l’état normal. Mais ils ont pu, dans la majorité des cas, l’augmenter sensiblement, quelquefois même énormément, par la suggestion ; et je suis tenté de croire, pour ma part, que le somnambule bien dressé en état d’attention expectante, augmente aussi son acuité sensorielle par auto-suggestion. Que ce soit ainsi ou d’une autre façon qu’elle s’éta-

  1. Voyez Beaunis, Le somnambulisme provoqué. Paris, 1886, p. 93.