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La suggestion mentale ainsi comprise est aujourd’hui définie par tous les observateurs, aussi bien ceux qui affirment que ceux qui nient son existence, de la façon suivante :

La suggestion mentale hypnotique est l’influence que la pensée de l’hypnotiseur exerce, dans un sens déterminé, soit sur la pensée de l’hypnotisé, soit sur l’apparition chez cet hypnotisé de phénomènes somatiques de nature hypnotique, sans que la pensée de l’hypnotiseur soit accompagnée de phénomènes extérieurs appréciables pour l’hypnotisé, et pouvant lui servir de signes ou même d’indices.

Cette définition, lorsqu’on y réfléchit, apparaît vraiment très spécieuse. Que, dans les faits de suggestion mentale observés, les assistants n’aient perçu aucune manifestation extérieure de la pensée de l’hypnotiseur ; que celui-ci n’ait eu conscience d’aucune manifestation de sa propre pensée ; cela peut être indiscutable, mais ne prouve en aucune façon que cette manifestation n’ait pas existé, et que l’hypnotisé n’ait pas pu la percevoir conclure de l’homme à l’état normal à l’homme en état d’hypnotisme, c’est une hardiesse que tout condamne aujourd’hui. On peut bien considérer comme évident que la pensée de l’hypnotiseur peut se produire sans signes extérieurs perceptibles pour l’hypnotisé ; mais c’est un tort grave d’affirmer, comme le fait la définition ci-dessus, que, dans les cas où la suggestion mentale s’est réalisée, la pensée de l’hypnotiseur n’a pas été accompagnée de manifestations extérieures perceptibles par le sujet, chose actuellement impossible à démontrer. Cette affirmation, que rien n’autorise, défend implicitement à ceux qui ne tiennent compte que des faits de chercher une interprétation du phénomène en rapport avec les données actuelles de la science, en même temps qu’elle amène forcément les partisans de la suggestion purement mentale à des hypothèses gratuites sur la manière dont elle s’exerce. Ainsi l’un d’eux, M. Charles Richet[1], qui a traité la question dans un récent travail, dit d’abord qu’il laissera de côté toute théorie et toute tentative d’explication, et qu’il se contentera d’indiquer les faits et de les déterminer aussi rigoureusement que possible. Mais bientôt, après avoir reconnu « qu’il est assez peu vraisemblable de supposer que la pensée humaine se projette en dehors du cerveau, et qu’elle va, par un procédé tout à fait inconnu encore, retentir sur la pensée de l’individu voisin », il finit par tirer de ses expériences la conclusion suivante : « que la force intellectuelle se projette au dehors du cerveau pour retentir sur la pensée voisine, à présent cela nous semble probable. » Du reste, l’auteur insiste longuement sur ce fait que son hypothèse est légitime, et qu’elle n’est nullement en contradiction avec la science. J’avoue n’avoir pas saisi la portée de cette discussion sur la possibilité d’une chose dont je ne puis même pas me faire une idée si j’admets que la pensée n’est qu’une fonction du cerveau, exigeant, pour se mani-

  1. Ch. Richet. La suggestion mentale et le calcul des probabilités (Revue philosophique. T. XVIIIaj|}, 1884, p. 609 et suivantes).