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L’onomatopée a été appelée à jouer un rôle important dans les premiers temps de la formation du langage ; de plus, les noms de parenté (Verwandtschaftsnamen) qui rentrent dans les plus anciens mots, doivent leur origine à l’onomatopée ; un monde du langage (Sprachwelt) a pu se former avec des sons de cette espèce et suffire aux besoins et aux tendances des hommes primitifs. Mais comment se fait-il que toutes les racines ne soient pas des imitations de sons ? Un son devint mot quand il fut rapporté à une série de représentations, qui correspondaient à une série de perceptions. Le mot désignait ces représentations et les comprenait en lui. Lorsque deux mots s’unirent entre eux, les représentations qui n’étaient pas essentielles à la formation du nouveau concept furent mises à l’écart et il se forma, avec les représentations essentielles à cette formation, une nouvelle série de représentations qui constituaient dans leur totalité le nouveau concept. Le nouveau mot avait une autre signification, était un autre concept-mot, d’abord parce que les représentations n’étaient plus qu’en partie les mêmes, ensuite parce que l’étendue des représentations avait changé. Nous apprenons la signification d’un mot en le commentant et l’expliquant, en indiquant les représentations qu’il implique, en les considérant séparément. Du concept ainsi resserré doivent avoir disparu les représentations qui avaient rapport au son (von einer Schallgebung) et le mot ne peut plus les signifier. Ainsi les mots perdent la signification qu’ils devaient à l’onomatopée. Le son demeure, mais il correspond comme mot à d’autres représentations.

Carneri fait le compte rendu d’un livre important et curieux de Carl du Prel (Philosophie der Mystik). Il en avait déjà combattu quelques assertions, contenues dans trois articles du Kosmos[1] qui ont trouvé place dans l’ouvrage anoncé. Du Prel est moniste et évolutionniste ; mais il entend le monisme et le darwinisme dans un sens très large : c’est ainsi qu’il n’applique son darwinisme qu’à l’évolution des formes futures (Kampf ums Dasein am Himmel). Si ce que l’auteur espère du somnambulisme se réalise, si son opinion sur la transcendantalité du sujet résiste à l’examen, la vérité absolue deviendra accessible à l’homme, l’obscurité mystique (mystische Dunkel), qui aujourd’hui encore enveloppe ce qu’on nomme le magnétisme animal, se dissipera et il n’y aura plus de place pour une philosophie mystique, au moins en se plaçant à ce point de vue. — Carneri reconnaît le talent de l’auteur, mais combat les idées qui font le fond de l’ouvrage.

  1. Revue philosophique. 1885. IV. p. 475.