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ainsi que le prêtre avait encore en plein moyen âge de véritables fonctions militaires, dernier souvenir de ces temps où il était chargé de faire connaître et respecter les caprices d’un dieu jaloux et souvent cruel. Quant à l’action que le clergé a exercée même dans des temps récents sur l’administration civile, politique et judiciaire des peuples, l’histoire en est toute pleine. Par cela seul qu’elle tenait dans ses mains le pouvoir surnaturel, cette caste, toujours riche et fortement organisée, ne pouvait manquer d’avoir sur les sociétés primitives une influence prépondérante. D’ailleurs le régime militaire, en comprimant les esprits, les préparait à toute espèce de servitude et ouvrait ainsi les voies au despotisme religieux. Aussi, à mesure que l’industrialisme remplace le militarisme, une révolution se fait dans les âmes ; les hommes prennent l’habitude de se refuser à toute espèce de joug, au joug religieux comme aux autres. Sous le régime du libre contrat, il ne peut y avoir que des croyances librement acceptées. En même temps les progrès industriels, en vulgarisant les connaissances scientifiques, ébranlent à tout jamais le préjugé d’une causation surnaturelle. Les dissidences se produisent et vont de plus en plus en se multipliant.

Mais l’idée religieuse ne disparaîtra pas pour cela ; car elle renferme un germe de vérité que l’on découvre déjà dans les superstitions grossières des sauvages et que le temps a peu à peu dégagé et développé. En effet, le culte des esprits implique la croyance que les événements internes et les phénomènes externes manifestent deux forces différentes mais analogues, c’est-à-dire en définitive que ces deux forces ne sont elles-mêmes que deux formes différentes d’une seule et même énergie, source de toute vie et de tout changement, dont la raison conçoit clairement la nécessité, mais que l’intelligence est à jamais impuissante à se représenter. C’est cet inconnaissable auquel vient se heurter la science, mais qu’elle n’explique pas. Sans doute elle nous débarrasse des préjugés absurdes et des explications enfantines ; mais il n’en reste pas moins un résidu inintelligible, qui dépasse la connaissance scientifique. Cet éternel mystère, voilà l’objet et la raison d’être de la religion. Tout naturellement, si la religion est destinée à survivre, il en est de même du sacerdoce, mais qui ira lui aussi en s’épurant et en se transformant de plus en plus. Il cessera de former une corporation fortement centralisée et soumise à un gouvernement plus ou moins autoritaire pour devenir un vaste système d’institutions locales et autonomes, comme il convient sous un régime vraiment industriel. En même temps, les fonctions de prêtre deviendront plus spirituelles et plus morales. Son rôle ne consistera plus à apaiser les dieux par des sacrifices ou autres mesures propitiatoires, mais à nous instruire de nos devoirs, à traiter devant nous les grands et obscurs problèmes de la morale, enfin à nous donner le sentiment, soit par la parole, soit par tous les moyens dont l’art dispose, des relations que nous soutenons avec la cause inconnue.

Comme on le voit, la plupart de ces idées se trouvaient déjà exposées