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Schelling, et qu’elle subit essentiellement l’influence de Weisse ; elle cherche avec Kant un fondement psychologique subjectif, et elle embrasse des analyses formelles analogues à celles de Herbart.

L’étude de cette esthétique se divise en trois parties : 1o Métaphysique du beau ; — 2o Formes particulières du beau ; — 3o L’art.

I. Métaphysique du beau. — Suivant Lotze, la beauté n’est pas le résultat d’un hasard, mais elle est liée à l’existence du bien, suprême principe de la réalité. Le bien doit être : il se donne une forme sensible, et cette forme se revêt de beauté. Le beau est ce qui nous permet de passer des formes particulières de l’être aux idées supérieures que ces formes réalisent. Ces idées, celles du bien, du saint, peuvent faire resplendir de beauté les objets les plus différents ; mais la beauté a toujours la même signification : elle est l’indice du bien.

D’après cela, quoiqu’il n’y ait pas un beau en soi comme il y a un bien en soi, la beauté a une valeur objective. Cependant Lotze professe la subjectivité du sentiment esthétique. Supprimez le cœur, la beauté sera supprimée : elle n’a de réalité que dans l’âme sentante. Mais la sensibilité, qui fonde ainsi la possibilité du jugement esthétique, ne nous révèle pas seulement ce que valent nos sentiments pour nous : elle nous révèle aussi ce qu’ils valent en eux-mêmes. La réalité subjective et la réalité objective coïncident, et on peut dire que la beauté résulte d’une harmonie entre l’objet et le sujet.

Le bien, dont le beau est la forme apparente, et l’âme qui sent le beau, voilà les termes auxquels aboutit la métaphysique de l’esthétique. Mais, s’ils sont seuls, comment expliquer le laid ? Lotze ne veut pas admettre, comme Hegel, une opposition originelle entre le bien, ou la pensée, et la matière. Pourtant le mécanisme des lois de la nature ne se plie pas toujours, selon lui, aux exigences des idées supérieures du bien et du mécanisme agissait seul, il n’y aurait pas de beauté. Mais pourquoi tout n’est-il pas beauté ? Il est vrai que si tout était également beau, rien ne serait beau ; que la beauté résulte d’une conciliation qui s’opère entre la matière et la pensée, nécessairement opposées par conséquent l’une à l’autre. Mais ce qu’il faudrait expliquer, c’est précisément l’indépendance qui s’affirme ainsi de la matière à l’égard du bien. Ce point du système de Lotze n’est pas élucidé.

II. Des formes particulières du beau. — Les belles formes, rattachées toutes à un même principe, ne produisent pas toutefois sur nous une impression égale.

Au plus bas degré se trouve la sensation, qui contient, suivant Lotze, et contrairement à l’idéalisme, un élément de beauté. Même les sensations du goût, du toucher, de l’odorat, doivent être analysées au point de vue esthétique. Il est vrai pourtant que l’importance des sensations à ce point de vue vient surtout de ce qu’elles préparent la pleine intelligence de toute autre beauté ; par exemple, à qui ne connaîtrait pas le chatouillement, l’effort, la fatigue, les mouvements qui s’accomplissent dans le monde seraient inintelligibles.