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logie et de la psychologie qu’on trouve l’origine de la tendance qui pousse les hommes à former des sociétés. Par là donc la sociologie se rattache à ces deux sciences.

Nous nous rapprochons peu à peu de la sociologie. Mais jusqu’ici nous n’en avons atteint que les conditions externes. Faisons un pas de plus et passons à l’étude des combinaisons sociales externes dont la correspondance avec les conditions sociales externes constitue l’objet propre de la sociologie » (page 66). Autrement dit de quoi sont composés les phénomènes sociaux ?

Comte refusait de se poser la question. Suivant lui, l’étude des sociétés n’est pas possible « si on la sépare en portions diverses et qu’on en étudie les divisions isolément », parce qu’ici, contrairement à ce qui se passe dans les sciences physico-chimiques, le tout est mieux connu et plus accessible que les éléments dont il est formé. Mais cette théorie est l’erreur fondamentale de la philosophie de Comte. Ces vues d’ensemble dont il parle ne sont que des représentations vagues dont la science ne peut se contenter. L’analyse s’impose en sociologie comme ailleurs. Ces synthèses confuses sont le commencement de la connaissance scientifique, mais n’en sont pas l’achèvement. Si donc on décompose les phénomènes sociaux, on trouvera qu’ils se divisent en faits économiques, artistiques, intellectuels, moraux, juridiques et politiques. Chacune de ces grandes classes représente une fonction sociale. Chacune de ces fonctions a son organe. Ces organes à leur tour sont impliqués dans des organismes. Les organismes sociaux dont nous pouvons observer l’existence sont les suivants : 1o l’agrégat sexuel où couple androgyne, forme première de toute société ; 2o la famille ; 3o la tribu ; 4o les communes et les nations ; 5o les agrégats internationaux.

Nous sommes maintenant en état d’établir entre la sociologie et les autres sciences une différenciation vraiment qualitative. Ce qui caractérise les faits sociaux qui viennent d’être énumérés, c’est qu’ils sont réfléchis et voulus. Les cellules de l’organisme ne sont pas douées de raisonnement et n’agissent pas volontairement. « Au contraire les unités sociologiques sont toutes — et prises isolément — pourvues d’une certaine sensibilité allant jusqu’aux formes les plus complexes de l’intelligence. » Aussi un fait nouveau apparaît-il dans les sociétés d’individus qu’on ne rencontre nulle part dans les sociétés de cellules : c’est le consentement réciproque. Voilà ce qui fait de la sociologie une science indépendante. Tout fait vraiment social résulte d’un contrat. Sans doute ce caractère contractuel est à peine discernable dans les sociétés primitives, où la force brutale prédomine. Il n’y existe qu’à l’état de germe indistinct. Mais ce germe se développe par la suite ; cette propriété devient de plus en plus apparente à mesure que les sociétés deviennent plus parfaites. Si le contrat n’est pas, comme le croyait Rousseau, à l’origine des sociétés, il est à leur apogée.

Pour que la question posée au début soit tout entière résolue, il ne reste plus qu’à classer hiérarchiquement les différentes sciences sociales.