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ANALYSES.La folie des dégénérés.

tenant de rendre compte en peu de mots des deux mémoires de M. Saury et de M. Legrain. Ils portent sur le même sujet, mais ils sont loin de faire double emploi ; ils se complètent au contraire l’un l’autre.

M. Saury (Étude clinique sur la folie des héréditaires) fait d’abord l’historique des hésitations des aliénistes sur ce sujet des monomanies et des folies lucides. Il montre l’influence énorme de l’hérédité sur ces maladies et il fait à cette occasion une distinction très utile entre l’héréditaire simple et l’héréditaire dégénéré. Il s’appuie sur des statistiques intéressantes de Krafft-Ebing et du docteur Knecht.

Son exposé des syndromes épisodiques est excellent, très complet ; il renferme une série nombreuse d’observations fondamentales. Je ne ferai qu’une légère critique de terminologie. M. Saury voit dans ces syndromes un état délirant. Je crois qu’il faut préférer sur ce point le vocabulaire de M. Legrain. Il n’y a pas délire tant qu’il y a conscience.

Je reprocherai aussi à M. Saury une tendance à rapprocher le génie de la folie, comme l’a fait Moreau (de Tours). M. Magnan n’est pas tombé dans cette erreur ; il admet qu’il y a des déséquilibrés de génie, surtout dans les arts, dans les grandes spécialités ; mais le génie véritable est la pondération même dans la puissance créatrice.

La partie du mémoire de M. Saury consacrée proprement au délire des dégénérés n’est pas aussi étendue que chez M. Legrain, mais elle renferme des observations très complètes, qui sont interprétées avec beaucoup de sens clinique.

La thèse de M. Legrain (Du délire chez les dégénérés) est plus étendue que le mémoire de M. Saury.

Dans la première partie qui, pour moi, est la meilleure, l’auteur traite de l’hérédité qu’il démontre fréquemment par les tables généalogiques de ses malades ; il énumère les signes physiques de la dégénérescence et décrit parfaitement, en les distinguant avec soin : l’état mental essentiel, l’état syndromique et l’état subdélirant des dégénérés. Il y a là, ce me semble, une terminologie qu’il faudra dorénavant conserver. La théorie du syndrome est très bien faite dans le travail de M. Legrain, mais les syndromes particuliers ne sont pour ainsi dire qu’énumérés ; il n’y a pas, comme dans le mémoire de M. Saury, d’observations qui leur soient exclusivement relatives. C’est surtout l’état subdélirant (manie raisonnante et folie morale) qui est le mieux étudié, comme je l’ai déjà indiqué plus haut.

Toute la seconde partie de la thèse est consacrée aux délires. Ici, j’ai quelques réserves à faire. C’est un travail très riche, mais un peu confus. L’auteur a eu le tort de multiplier un peu trop des observations ou plutôt des fragments d’observations, qui ne sont pas concluants. Quand il s’agit de différencier un délire systématisé de dégénéré d’avec un délire chronique ordinaire, il faut évidemment prendre des observations qui nous conduisent jusqu’à la guérison ou à la terminaison du délire. Sinon, ce sont des faits accumulés qui n’apportent aucune conviction dans l’esprit du lecteur.