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peuvent être mauvaises et ces croyances peuvent être erronées : les exemples n’en manquent pas, les circonstances qui jointes au pouvoir synthétique de l’esprit font naître chez un homme le sentiment de l’obligation le font naître de telle sorte que l’homme sera moralement poussé à des actes qu’une raison éclairée réprouverait et considérerait comme immoraux. C’est là le fait que l’on appelle en général la conscience non éclairée. Seulement, il faut remarquer que le sens moral ne se forme pas en qualité indépendante que l’on applique où l’on veut et comme l’on veut. S’il est permis en traitant de psychologie générale de séparer la forme du fond et de reconnaître dans les diverses conceptions morales les plus opposées un procédé mental analogue que l’on peut appeler du même nom partout où on le rencontre, il ne faut pas oublier que dans la réalité la forme et le fond ne se peuvent séparer bien souvent, et qu’ils sont étroitement liés parce qu’ils se rattachent précisément, l’un et l’autre, aux tendances, aux idées et aux sentiments les plus tenaces et les plus stables. Nous avons donc ici une première cause très sérieuse de désaccord entre l’obligation morale telle que les conditions de l’existence la font naître, et l’obligation morale que les lois de l’idéal prescriraient non point comme loi définitive, mais comme loi de transition vers un état plus parfait.

Enfin, alors même que l’on pourrait convertir tous les hommes à un même idéal moral, ou, ce qui reviendrait au même, à des types harmoniques de l’idéal, il n’y aurait rien de fait encore, la pression de l’obligation morale n’étant pas suffisante toujours pour déterminer l’homme à agir dans le sens indiqué. Les circonstances ont développé en lui bien des désirs, bien des appétits qui viennent contrarier l’influence de l’idéal et de la pression exercée par les tendances profondes qui correspondent au devoir vrai. Je n’insiste pas sur ce fait, assez évident par lui-même. D’après ce que nous avons vu plus haut de la nature du sentiment de l’obligation, il résulte forcément que ce sentiment ne peut être un guide sûr, et que, d’ailleurs, il ne serait pas toujours un guide efficace. C’est pourquoi on aime à lui donner pour appui des sentiments différents, soit l’intérêt comme lorsqu’on essaye de faire concorder l’intérêt et le devoir, en essayant de montrer que l’être qui fait du bien aux autres se fait aussi du bien à lui-même, en ce monde ou dans l’autre — la croyance à la vie future pourrait être un auxiliaire précieux pour la théorie utilitaire — soit la crainte quand on fait appel à un dieu juste et terrible et aux flammes de l’enfer, ou simplement aux gendarmes et aux tribunaux, et aux conséquences fâcheuses pour l’auteur qui dérivent souvent d’un acte coupable. Tout cela me paraît rentrer dans la catégorie des expé-