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ARRÉAT.sexualité et altruisme

l’avoir confiné. Ne pourrait-on, cependant, en vertu de la critique précédente, considérer l’acte sexuel comme un simple moment de l’instinct lui-même, et cet instinct comme une tendance plus générale ? Ne tient-il pas, d’autre part, dans la sphère de l’altruisme plus que cette tendance toute brute ne saurait nous donner ? Comment passer maintenant de l’inférieur au supérieur ?

M. Féré, en son article précité, nous apprend que le plaisir et la douleur sont en corrélation, d’après les expériences, avec l’énergie potentielle du sujet, et c’est un nouveau fait d’où il conclut à l’origine égoïste de l’altruisme. « Être utile à autrui, dit-il, contribue à augmenter le sentiment de la puissance, et par conséquent est agréable en soi ; il est meilleur de donner que de recevoir. » C’était déjà une vérité d’observation commune. Mais cet égoïsme qui se dépense pour autrui est une forme, il en faut bien convenir, qui mérite d’être distinguée. M. Guyau, lui, en appelle au plaisir du risque pour justifier le sacrifice de la personne. Nous préférons alors, dit-il (Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction), la joie intense d’un moment à la durée de la vie, et nous portons ainsi, ajouterais-je dans le sens de M. Féré, le sentiment de notre pouvoir jusqu’à l’extrême. Si l’égoïsme reste donc la vraie nature du moi, la situation de l’homme qui se dépense pour autrui, sans rien attendre, n’en est pas moins très remarquable. Ni le sentiment de la puissance, ni le plaisir du risque ne suffisent à l’expliquer d’une manière complète, car ce sentiment peut s’éprouver indifféremment à écraser autrui comme à le relever, et il faudrait savoir pourquoi l’on met le plaisir du pouvoir, le plaisir du risque à faire cette action plutôt que celle-là.

Je veux bien que l’acte de vivre, le plaisir de vivre et le but de vivre, considérés par abstraction en un moment initial tout logique, coïncident ; mais le fait de vivre dans le temps et dans l’espace produit des motifs nouveaux de vivre et attache à de certaines fins le plaisir de vivre. C’est pourquoi M. Guyau nous parle d’un risque métaphysique, où il découvre le dernier équivalent possible du devoir ; et si « la fusion croissante des sensibilités, le caractère toujours plus élevé des plaisirs sociaux », qui en est pour lui le troisième équivalent, peut s’entendre d’un altruisme élargi ayant son fond dans la fécondité, l’hypothèse dont dépend le risque métaphysique introduit enfin dans la question un élément intellectuel.

Notre terme d’altruisme recouvre, je l’ai déjà dit, des situations assez différentes ; et celle, par exemple, d’une mère qui se dévoue à son enfant n’est pas celle du soldat qui se fait tuer sur un champ de bataille. Parlons-nous, pour qualifier la seconde, d’un altruisme