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placent les psychiques ou érotomanes, extatiques, chez lesquels ni la moelle, ni le cerveau postérieur ne révèlent plus leur action, et l’idée domine l’amour sans le désir de la chair. Les érotomanes, sous quelques rapports, sont des enfants. Une demoiselle de quarante-sept ans a refusé autrefois l’offre d’un jeune homme ; elle se le reproche aujourd’hui, elle cherche l’absent, qu’elle se figure malheureux, obstinément, et le médecin ne surprend pas en elle l’idée de relations intimes ni avec ce jeune homme ni avec d’autres. Un tailleur de trente-deux ans, marié, est éperdument amoureux de Mlle van Zandt, et il n’a jamais eu de pensées charnelles à son endroit. Un élève de l’école des Beaux-Arts adore une personne imaginaire, qu’il nomme Myrtho et loge dans une étoile. Si les enfants sont des sensuels naïfs, les psychiques ne nous présentent-ils pas, avec excès, la situation de l’amour sans l’appétit, qui est pourtant l’amour ? Chez ceux-là, le mécanisme spécial n’est pas achevé, et chez ceux-ci il reste soustrait à l’influence du penchant, du sentiment.

Ainsi la maladie a fait pour nous une véritable analyse du phénomène normal, et ces cas pathologiques pourraient nous conduire à concevoir comment nos sentiments tendres s’ordonneraient en une série où l’appétit brutal décroît jusqu’à disparaître. Mais il convient d’insister davantage sur certains points de cette discussion. La situation du couple se passe de commentaire. Est-il besoin de faire remarquer à quel degré le sens génésique augmente, par sa secrète influence, le plaisir du plus léger contact de la personne aimée ? Le toucher même d’un objet lui appartenant excite en nous un frémissement agréable, et les impressions de nos autres sens, en particulier celles de l’odorat, aboutissent toujours à provoquer la joie positive de l’embrassement. Notre jalousie exerce autour d’elle une active vigilance ; on la veut garder du contact, des regards de tout étranger. Un jeune homme aliéné s’imagine que sa fiancée est enfermée en son propre corps, qu’elle est son double ; à l’heure du coucher, dans le dortoir de l’asile, il est pris de honte, il se défait de ses vêtements avec des précautions infinies et ne veut pas laisser voir sa nudité, tant il redoute d’exposer son amante imaginaire aux regards indiscrets dont elle serait offensée !

L’amour des parents pour leurs enfants est une situation bien différente. Le langage de l’instinct qui l’a fait naître n’y est pourtant pas entièrement oublié. L’amour des petits, chez la mère, est plus émotif, plus ardent, en raison de la dépense de vie qu’elle continue, et la constitution morale de la femme semble relever surtout de ce doux sacrifice où la nature l’engage. L’amour paternel ne se montre