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eût été préférable, dit-il, de s’en tenir à cette proposition plus générale, « que l’égoïsme est la force de concentration due au besoin de se nourrir, et l’altruisme la force d’expansion due au besoin d’engendrer. » On a tout loisir, en effet, de comprendre sous cette expression plus générale la « dépense de vie continuée » dont l’allaitement offre le cas singulier et remarquable. L’instinct de la reproduction, il convient de le remarquer en passant, comporte d’ailleurs, aussi bien que l’instinct de la nutrition, une prévoyance et des qualités appropriées, et ces qualités témoignent déjà d’une expansion de l’instinct hors des limites de l’appétit immédiat. Dans nos basses-cours, le coq ménage sa part de grain et de pâtée à chacune de ses poules. Le monde animal nous offre des exemples, à l’instar des sociétés humaines, des soins réciproques du mâle et de la femelle. Nous voyons, parmi nous, que l’homme s’efforce de plaire à toute femme. Notre galanterie, en la plus courte rencontre, sera plus vive peut-être, si la femme est jeune ; mais elle s’exerce gratuitement et sans rien attendre ; l’instinct dépasse la personne, et il va au sexe.

Cette force d’expansion dont parle M. Fouillée, on pourra donc chercher à la définir par des qualités qui dépassent le couple et anticipent l’œuvre du couple ; mais la sexualité en représentera toujours le moment le plus important. La critique de M. Fouillée touchant l’esprit de jalousie et d’exclusion qu’entraîne la possession sexuelle, nécessairement restreinte, ne diminue pas la valeur sociale de l’amour ; la jalousie se montre pareillement dans les affections non sexuelles, et ce trait s’efface seulement à mesure que la chaleur de l’affection décroît. S’il objecte, après M. Espinas (les Sociétés animales), que ce n’est pas par l’amour mutuel des sexes, mais par l’affection réciproque des frères, des jeunes animaux, que la sociabilité des peuplades se fonde, on peut répondre que la puissance de ces affections latérales est en raison de la puissance émotive de l’instinct dans l’espèce considérée. Si la sympathie, enfin, lui paraît ne pas dépendre de l’instinct sexuel et le précéder même, c’est peut-être bien une simple apparence, et c’est confondre le pouvoir avec l’instinct. L’instinct se manifeste sans le pouvoir chez l’enfant, c’est-à-dire avant l’achèvement des mécanismes spéciaux qu’il mettra plus tard en jeu, et les cas, des cas non morbides, ne manquent point pour le prouver.

Tels seraient les arguments où la doctrine que j’examine se pourrait appuyer, et cependant elle n’aurait pas encore fourni la preuve du retentissement de la sexualité dans les affections ordinaires de la vie. Peut-être l’observation des faits pathologiques aiderait-elle à