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coup coup de naturel et d’aisance, et çà et là avec une simplicité pleine de grâce. Il est de, ceux qu’on relit volontiers, quoiqu’il soit d’une femme savante sans doute, mais ni pédante ni précieuse.

La première partie, la plus considérable, est en castillan ; on y trouve un premier dialogue sur la connaissance de soi-même, sur la nature humaine et sur les moyens de vivre heureux jusqu’à l’extrême vieillesse ; en second lieu, un petit traité sur la composition du monde tel qu’il est ; ensuite un essai de réforme politique et sociale ; puis après, des préceptes de santé qui résument les principes développés dans le dialogue final sur la vraie médecine et la vraie philosophie. La partie latine résume très heureusement toute la doctrine en une soixantaine de pages, sous ce titre : Dicta brevia circa naturam hominis, medicinæ fundamentum. Les aphorismes se mêlent à la dissertation, mais c’est la forme aphoristique qui domine.

Dans les deux parties, les têtes de chapitre sont d’une remarquable netteté. Les questions sont toujours bien posées, et si elles ne sont pas toujours résolues à la satisfaction du lecteur, c’est que la matière est ardue et inépuisable. Ce qui paraît étrange, c’est que l’auteur, qui n’allègue les anciens que pour les réfuter, les combattre ou les contredire, particulièrement Hippocrate, Aristote et Galien, invoque volontiers l’autorité de Platon, sans servilité, il est vrai, et trop souvent celle de Pline et d’Elien, qu’elle cite comme naturalistes, avec une complaisance et une crédulité qui jurent avec le ton d’indépendance et de scepticisme qu’on remarque à toutes les pages. Écrivant pour les docteurs aussi bien que pour les simples, la docte jeune femme a sacrifié à la manie de son siècle, qui ne pouvait se lasser de l’érudition. Quant aux modernes, à peine en est-il question elle ne cite guère que Acosta et Monardes, savants médecins naturalistes qui ont décrit les animaux, les plantes et les drogues médicinales du Nouveau-Monde ; et quelques allusions discrètes, et non sans malice, à l’adresse de Vallès, surnommé le divin, archiatre de Philippe II, semblent inviter cet homme illustre à l’examen approfondi de la nouvelle théorie philosophique et médicale. Du reste, dans tout ce qui est dit des médecins et des philosophes, il y a moins d’animosité que de commisération, et le berger qui cause avec un docteur, dans le dernier dialogue, est familier sans impertinence. La délicatesse féminine adoucit avec beaucoup de tact le ton de la dispute, et la plus fine ironie donne à ces entretiens une grâce piquante. On voit bien que l’auteur n’est point de ceux qui ont appris à déclamer et argumenter sur les bancs de l’école, bien que les façons de la scolastique ne lui soient pas étrangères : il les a