Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXII, 1886.djvu/617

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
613
G. LE BON.applications de la psychologie

leur ayant solidement prouvé que les trains partaient sans les attendre, ils arrivent maintenant deux ou trois heures à l’avance. Leur défaut d’exactitude ne s’est pas modifié ; mais on peut dire, en employant le langage des algébristes, qu’il a simplement changé de signe. J’ai eu affaire à des Hindous de tout rang et de toute classe — quelques-uns même sortant des universités européennes — il ne m’est jamais arrivé d’en trouver un seul qui fût exact à un rendez-vous, tandis qu’il ne m’est jamais arrivé de rencontrer un Anglais dans l’Inde qui ait manqué d’exactitude.

Si nous considérons maintenant les caractères généraux des Hindous au pont de vue de la moralité, nous devons, pour porter un jugement équitable, les examiner successivement dans leurs relations avec les Européens et dans leurs relations entre eux.

Les Européens en rapport avec les Hindous se plaignent justement de leur dissimulation et de leur absence complète de véracité ; mais ils oublient que ce sont des défauts fatalement inhérents à des relations d’esclave à maître. Dans leur commerce entre eux, les natifs sont tout autres. Si on prend comme critérium de la moralité le degré de respect de l’individu pour les mœurs, les coutumes et les lois de son pays joint à l’esprit de tolérance et de charité, on peut dire que les Hindous des classes populaires sont bien supérieurs aux Européens des mêmes classes. J’ai soin de dire l’Hindou des classes populaires, parce que j’ai observé bien des fois ce fait, contraire à ce qu’on voit en Europe, mais qui est loin d’être exceptionnel en Orient, que le niveau de la moralité diminue à mesure qu’on s’élève dans l’échelle sociale. Elle est absolument nulle chez une classe particulière, celle des Babous formée des Hindous élevés par les Européens. Ce dernier fait est très intéressant à constater comme montrant, d’une part combien est vain le préjugé qui veut que l’instruction élève la moralité des hommes, et de l’autre combien un système d’éducation adapté aux besoins d’un peuple est détestable quand on l’applique à un autre peuple arrivé à une phase d’évolution différente.

La charité de l’Hindou est absolument limitée aux gens de sa caste, mais en agissant ainsi il ne fait qu’obéir à ses prescriptions religieuses. Ce sont ces mêmes prescriptions qui proportionnent le degré de criminalité des actes à la valeur de l’individu offensé. D’après le code de Manou, la moindre offense contre un Brahmane est un crime alors que le crime le plus grave à l’égard d’un Soudra n’est qu’une faible offense.

Pour résumer ce qui concerne la moralité de la masse du peuple hindou, je ne saurais mieux faire que d’invoquer le jugement, que