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La troisième des influences qui a contribué à donner aux Hindous des caractères semblables est celle des prescriptions religieuses. Un Européen ne peut comprendre la toute-puissance de cette influence sans l’avoir constatée de ses propres yeux. Le plus religieux des hommes de l’Occident établit toujours une certaine séparation entre le sacré et le profane ; mais une telle distinction est inintelligible à un Hindou. Pour ce dernier, la divinité intervient dans les moindres actes de son existence, et les prescriptions de la religion constituent l’autorité suprême qui administre toutes les affaires. La religion fait tellement partie de sa vie que l’on peut dire qu’elle est sa vie tout entière. Le travail, les repas, le sommeil, sont des actes religieux. Tout ce qui n’est pas prescrit par la religion n’existe pas pour lui ; elle seule lui fournit des règles fixes de conduite, et c’est avec raison qu’on a pu dire que la vaccine n’aura de chance d’être adoptée dans l’Inde que lorsqu’elle sera devenue une prescription théologique. En traçant, dans notre ouvrage sur l’Inde, la genèse des religions, nous avons eu occasion de montrer à quel point elles remplissent la vie de l’Hindou, et à quel point, également, tout ce qui représente une puissance quelconque est considéré par lui comme l’expression d’un pouvoir divin. À ce point de vue — comme d’ailleurs à tant d’autres — il y a entre l’Orient et l’Occident un immense abîme, et cet abîme ne fait que se creuser davantage chaque jour.

Étant données la résignation de l’Hindou et son obéissance passive aux ordres de ses dieux, étant donné également que les mêmes prescriptions religieuses agissent sur lui depuis des siècles, puisque les lois religieuses de Manou sont les lois suprêmes de l’Inde depuis 2000 ans, on comprendra à quel point des cerveaux soumis à un joug aussi uniforme ont dû se couler dans le même moule.

L’action des grands facteurs qui précèdent étant mise en évidence, recherchons maintenant quels sont les caractères généraux que leur influence a créés.

V

On ne peut s’attendre assurément à rencontrer, chez un peuple soumis depuis tant de siècles aux conditions d’existence physiques et intellectuelles que nous avons indiquées, les qualités de vigueur et de caractère qui appartiennent à des hommes libres. S’ils les avaient possédées au plus faible degré, il y a longtemps qu’ils auraient secoué toute influence étrangère. Il ne faudra donc pas nous étonner de rencontrer chez les Hindous les défauts que l’on ren-