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JANET.actes inconscients, etc.

tique, nous avons la conversation suivante : « M’entendez-vous ? — (Elle répond par écrit) Non. — Mais pour répondre il faut entendre. — Oui, absolument. — Alors, comment faites-vous ? — Je ne sais. — Il faut bien qu’il y ait quelqu’un qui m’entende. — Oui. — Qui cela ? — Autre que L. — Ah bien ! une autre personne ; voulez-vous que nous l’appelions Blanche ? — Oui, Blanche. — Alors, Blanche, m’entendez-vous ? — Oui. » Sans doute c’est moi qui ai suggéré le nom de ce personnage et lui ai donné ainsi une sorte d’individualité, mais on a vu combien il s’était développé spontanément : je n’ai guère fait que le baptiser. Quand je montrai le papier précédent à L, il se produisit un petit incident. Elle avait des raisons personnelles pour avoir en horreur ce nom de Blanche et voulait déchirer le papier où ce nom était écrit. Ce détail avec mille autres nous prouve la sincérité du sujet et l’inconscience absolue avec laquelle elle avait écrit ce nom de Blanche qu’elle ne voulait même pas lire. Il fallut recommencer la dénomination : « Quel nom voulez-vous avoir ? — Pas de nom. Si, ce sera plus commode. — Eh bien, Adrienne[1]. » Les somnambules ont leurs caprices, il fallut se conformer à celui-ci. Depuis j’entretins des conversations soit avec L. qui me répondait par la parole ou avec Adrienne qui répondait par l’écriture. Il suffisait de changer de nom pour qu’il n’y eût jamais d’erreur, il n’était plus nécessaire d’endormir, le nom seul d’Adrienne suffisait pour commander des actes ou des réponses automatiques, c’est-à-dire ignorées de L.

Les réponses que j’ai ainsi obtenues n’ont pas grand intérêt ; la façon dont elles ont été écrites est plus curieuse que leur contenu. Elles étaient presque toujours très simples, « oui », « non » et très fréquemment « je ne sais ». Je n’ai pas vu dans ces réponses la moindre trace d’une lucidité quelconque ; je n’ai pas non plus observé de suggestion mentale qui, d’après M. Myers, ne serait pas rare dans les cas d’écriture automatique. Il n’y avait dans ces réponses qu’un petit nombre d’indications intéressantes que je vais résumer.

1o Les suggestions que j’avais toujours considérées comme inconscientes ne l’étaient en réalité que pour L ; Adrienne les savait toujours, elle pouvait les écrire même après le réveil. C’est elle qui levait les bras, c’est elle qui comptait les signaux. « L., écrivait Adrienne, n’entendait pas, ou si elle entendait un peu, elle résistait et il y avait dispute. » J’ai eu un jour une preuve curieuse de cette obéissance.

  1. Au lieu de désigner ainsi le personnage automatique, il est clair que j’aurais pu lui suggérer qu’il était l’esprit de César ou de Bossuet : il est très probable que la suggestion n’aurait pas rencontré de résistance et L. serait devenue un véritable médium écrivant.