Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXII, 1886.djvu/591

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
587
JANET.actes inconscients, etc.

m’excuser. Je me ferais un plaisir de venir avec vous, mais je ne puis accepter pour ce jour. Votre amie. L. — P.-S. Bien des choses aux enfants, s. v. p. » Cette lettre automatique est correcte et indique une certaine réflexion. L. parlait de toute autre chose et répondait à plusieurs personnes pendant qu’elle l’écrivait. D’ailleurs elle ne comprit rien à cette lettre quand je la lui montrai et soutint que j’avais copié sa signature. Chose assez curieuse, quand je voulus recommencer cette expérience, L. écrivit une seconde fois exactement la même lettre sans changer un mot ; il semblait que la machine fût montée dans ce sens et ne pût être dérangée. L’écriture de ces lettres est intéressante ; elle est analogue à l’écriture normale de L, mais non identique ; c’est une écriture penchée et très lâche ; les mots ont une tendance à s’allonger indéfiniment. M. Ch. Richet, à qui j’ai montré ces fragments d’écriture automatique, m’a appris que ce caractère était constant dans les écritures de médiums qu’il a eu l’occasion de voir et que dans leurs lettres souvent un mot remplissait toute une ligne.

L’écriture automatique est un fait bien connu : on me permettra de rappeler à ce propos une page très remarquable de M. Taine qui montre très bien la possibilité et l’intérêt de ce phénomène : « Plus un fait est bizarre, plus il est instructif. À cet égard, les manifestations spirites elles-mêmes nous mettent sur la voie de ces découvertes, en nous montrant la coexistence, au même instant, dans le même individu, de deux pensées, de deux volontés, de deux actions distinctes, l’une dont il a conscience, l’autre dont il n’a pas conscience et qu’il attribue à des êtres invisibles… Il y a une personne qui en causant, en chantant écrit, sans regarder son papier, des phrases suivies et même des pages entières sans avoir conscience de ce qu’elle écrit. À mes yeux, sa sincérité est parfaite ; or, elle déclare qu’au bout de sa page elle n’a aucune idée de ce qu’elle a tracé sur le papier ; quand elle le lit elle en est étonnée, parfois alarmée… Certainement on constate ici un dédoublement du moi, la présence simultanée de deux séries d’idées parallèles et indépendantes, de deux centres d’action ou, si l’on veut, de deux personnes morales juxtaposées dans le même cerveau, chacune a une œuvre et une œuvre différente, l’une sur la scène, l’autre dans la coulisse…[1] » Ce phénomène a

  1. Taine : De l’intelligence, préface, I, p. 16. Ce passage est déjà cité dans la thèse si intéressante de M. le Dr Bérillon sur « la dualité cérébrale ou l’indépendance fonctionelle des deux hémisphères cérébraux ». Les faits que j’ai rapportés ne mènent peut-être pas exactement à la conclusion soutenue dans cet ouvrage, mais il est incontestable que les expériences précédentes viennent en grande partie confirmer celles que M. le Dr Bérillon a faites avec M. le Dr Dumontpallier sur « les suggestions bilatérales simultanées de caractère différent pour chaque côté dans l’état cataleptique ».