tendit n’en avoir entendu qu’un seul : elle avait dû les écouter et les compter, mais sans le savoir, inconsciemment. L’expérience était facile à répéter, et je l’ai refaite de bien des manières : L. a compté ainsi inconsciemment jusqu’à 43 et les coups furent tantôt réguliers tantôt irréguliers, sans que jamais elle se soit trompée sur le résultat. Une expérience des plus frappantes fut celle-ci. Je lui commande : « Au 3e coup vos mains se lèveront ; au 5e elles se baisseront ; au 6e vous ferez un pied de nez ; au 9e vous marcherez dans la chambre ; au 16e vous vous endormirez dans un fauteuil. » Nul souvenir au réveil et tous ces actes s’accomplissent au nombre voulu, tandis que pendant tout le temps L. répond aux questions qu’on lui adresse et n’a aucune conscience qu’elle compte des bruits, qu’elle fait un pied de nez ou qu’elle se promène.
Après avoir répété l’expérience, il fallait songer à la varier. J’ai essayé d’obtenir ainsi des jugements inconscients très simples. « Quand je dirai deux lettres pareilles l’une après l’autre, vous serez paralysée[1]. » Après le réveil, je murmure les lettres « a… c… d… e… a… a ». L. demeure immobile et entièrement contracturée. C’est là un jugement de ressemblance inconscient ; voici des jugements de différence : « Vous vous endormirez quand je dirai un nombre impair » ou bien « vos mains se mettront à tourner l’une sur l’autre quand je prononcerai un nom de femme ». Le résultat est le même : tant que je murmure des nombres pairs ou des noms d’homme, rien n’arrive ; la suggestion est exécutée quand je donne le signe. L. a donc inconsciemment écouté, comparé et apprécié ces différences.
J’essaye ensuite de compliquer l’expérience pour voir jusqu’où allait cette faculté inconsciente de jugement. « Quand la somme des nombres que je vais prononcer fera 10, vos mains enverront des baisers » : mêmes précautions ; elle est réveillée ; l’oubli est constaté, et loin d’elle pendant qu’elle cause avec d’autres qui la distraient le plus possible, je murmure 2… 3… 1… 4, et le mouvement est fait. Puis j’essaye des sommes plus compliquées ou d’autres opérations : « Quand les nombres que je vais prononcer deux par deux, soustraits l’un de l’autre, donneront comme reste 6… » ou des multiplications et même des divisions très simples. Le tout s’exécute presque sans erreur, sauf quand l’opération devient trop compliquée et ne pourrait plus être faite de tête ; comme je l’ai remarqué, il n’y avait là aucune
- ↑ Les suggestions sont toujours faites pendant le sommeil hypnotique bien constaté, puis L est complètement réveillée quelque temps après. Les signes et l’exécution ont lieu pendant la veille. L’expérience peut très bien se faire entièrement pendant la veille et elle a, à mon avis, les mêmes caractères ; mais l’oubli est encore plus certain quand le sujet a été réveillé après la suggestion.
