Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXII, 1886.djvu/584

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
580
revue philosophique

n’entend pas le commandement qui s’exécute à son insu. Naturellement elle n’avait pas non plus le moindre souvenir de la suggestion ainsi exécutée : ainsi je lui commandais de pleurer et elle sanglotait réellement, mais elle continuait au milieu de ses pleurs à parler de choses très gaies, et, les sanglots arrêtés, il ne restait plus trace de ce chagrin qui n’avait jamais été conscient. Je la priai même un jour de faire tous ses efforts pour me résister ; elle ne parut pas très bien comprendre, car elle ne se souvenait pas de son obéissance. Elle m’assura en riant qu’elle ne ferait certainement pas l’acte que j’allais dire. Je commande quelque chose et mon commandement est aussitôt exécuté ; mais elle continue à rire en disant toujours : « Essayez donc de me commander, je ne ferai rien du tout. » En un mot tout ce qui avait rapport à la suggestion ne pénétrait plus dans sa conscience.

Peut-être faut-il rapprocher de cette inconscience des suggestions un détail du même genre qui m’avait frappé dès le début et que je ne pouvais comprendre. L. pendant la veille comme pendant le somnambulisme, était complètement anesthésique ; elle n’avait aucune sensibilité cutanée ni à droite ni à gauche et n’appréciait ni la douleur, ni la chaleur, ni le contact[1]. Elle n’avait pas non plus de sens musculaire et les yeux fermés elle ne savait pas la position de ses membres ; ainsi qu’elle le disait elle-même, elle perdait ses jambes dans son lit, mais elle était persuadée qu’il en était ainsi pour tout le monde. J’ai même remarqué que cette perte du sens musculaire était accompagnée d’une diminution très évidente dans l’appréciation des distances par la vue. Cependant, si on mettait L. dans un état cataleptique[2], les membres gardaient les positions où on les mettait ; les mouvements se continuaient ; le visage prenait une expression correspondante. N’y avait-il pas là des suggestions par le sens musculaire. Si je serre son poing, le visage prend un air de fureur et le bras lance des coups de poing ; il semble qu’elle ait su que son poing était serré et cependant dans le somnambulisme ou dans la veille, elle ne sait jamais si je serre son poing ou si je lève son bras. Est-ce encore une suggestion inconsciente comme précédemment ? Cette anesthésie des hystériques ne serait-elle, comme M. Bernheim le disait très bien pour l’amaurose hystérique[3], qu’une « anesthésie purement psychique ? » La sensation entre-t-elle réellement dans son cerveau, tandis que « l’hystérique

  1. C’est sans doute pour cette raison que pendant l’état de somnambulisme, L. n’a jamais eu de contractures produites par frictions superficielles de la peau.
  2. On y parvenait par la compression des globes oculaires pendant le somnambulisme avec les yeux fermés, beaucoup plus sûrement que par l’ouverture des yeux à la lumière, ce qui produisait le somnambulisme avec les yeux ouverts.
  3. Revue de l’hypnotisme, 1886, p. 68.