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JANET.actes inconscients, etc.

suffisait pour cela de frapper dans mes mains, c’était un signal convenu, et à son réveil elle cherche partout avec étonnement : « Pourquoi avez-vous éteint le feu de Bengale vert… ah ! c’était un rêve. » Il me semble qu’il y a cependant une exception à cette loi indiquée par M. Delbœuf. Quand le sujet a déjà été endormi brusquement au milieu d’un acte de la veille, l’idée qui apparaît dans la conscience après un réveil également brusque, ce n’est pas le souvenir du somnambulisme, c’est la suite de l’acte commencé et interrompu pendant la veille. Le somnambulisme est comme s’il n’avait pas existé et les deux moments de la veille semblent se rejoindre[1]. Au milieu d’une conversation, L. est endormie avant d’avoir pu achever sa phrase. Après un quart d’heure de sommeil elle est réveillée et alors achève tranquillement la conversation commencée sans se douter qu’elle a dormi. Le même phénomène a lieu d’ailleurs pour les somnambulismes. Une fois rendormie, L. continue quelquefois l’acte commencé pendant le somnambulisme précédent. On pouvait avoir ainsi avec elle deux conversations très bizarrement interrompues et reprises, l’une pendant les états de veille, l’autre pendant les somnambulismes.

II

À ce moment il n’était pas difficile de s’apercevoir que la plupart des suggestions ne se présentaient plus de la même manière qu’au début : elles étaient devenues inconscientes. Auparavant L. savait ce que je commandais et savait ce qu’elle faisait en exécutant, puisqu’il lui arrivait de discuter le commandement. Maintenant elle n’entend plus ce commandement ou du moins répond toujours et avec sincérité qu’elle ne l’a pas entendu, et cependant elle l’exécute avec une grande précision, mais sans savoir ce qu’elle fait. Je lui commande brusquement : « Faites un pied de nez » ; les mains se placent au bout de son nez. On l’interroge sur ce qu’elle fait ; elle répond toujours qu’elle ne fait rien et continue à causer pendant longtemps sans se douter que ses mains continuent à s’agiter au bout de son nez. Je la fais marcher au travers de la chambre, elle continue à parler et croit être assise. Chose curieuse, elle m’entend parfaitement quand je cause avec elle et me répond sensément, mais si j’interromps une phrase pour faire brusquement un commandement, elle entend la phrase et

  1. Pour vérifier ce détail, il faut se servir de sujets très sensibles à la suggestion, que l’on peut endormir tout d’un coup sans aucune pratique, rien que par un signe convenu pendant l’un des somnambulismes précédents. J’endormais L en quelques secondes rien qu’en levant la main.