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indiquait dès la première fois un somnambulisme assez profond. Il était facile de réveiller la malade par un mot et de la rendormir à un geste convenu, car les suggestions posthypnotiques réussissaient aussi fort bien. Tous les phénomènes que j’ai pu reproduire ainsi étant fort connus, je n’insisterai que sur un détail intéressant. Dans les premières séances les suggestions pour être exécutées semblaient devoir être comprises et acceptées par le sujet. Si je lui commandais de lever les bras, L. commençait par me répondre « oui » d’une voix très basse, puis elle levait les bras qui restaient contracturés au-dessus de sa tête ; si je lui commandais de faire une action ou d’éprouver une hallucination à son réveil, elle répondait encore « oui », puis à son réveil exécutait l’ordre donné et accepté. Cette acceptation était indispensable. Un jour je lui commandai pendant son sommeil un acte qui lui déplut sans doute beaucoup ; elle répondit « non » à plusieurs reprises et à son réveil n’exécuta pas l’acte commandé. À de certains moments L. avait ainsi une grande disposition à la résistance et répondait « non » à la plupart des suggestions qui alors ne se réalisaient pas. Cependant le sommeil ne s’interrompait pas et au réveil l’oubli était toujours complet.

Après quatre séances, L. eut pour la première fois une sorte de catalepsie qui se produisit naturellement au cours du sommeil quand j’essayai de le rendre plus profond en continuant les passes plus longtemps. Les membres restaient dans la position où on les plaçait ; les mouvements continuaient et l’expression du visage se mettait en harmonie avec eux. Cet état dura peu et fut bientôt remplacé par le somnambulisme ordinaire ; mais celui-ci semblait plus profond et la puissance de résistance aux suggestions était bien diminuée. Non seulement il ne lui arrive plus de refuser l’obéissance, mais maintenant elle ne fait plus de signe d’acceptation, ne répond rien à la suggestion et l’exécute de suite. Des actes plus compliqués, associés à des hallucinations, peuvent être ainsi exécutés pendant le sommeil ou après le réveil. C’est à ce moment que j’ai essayé de vérifier les expériences de M. Delbœuf[1] sur la conservation du souvenir après le sommeil hypnotique et que je suis arrivé à des résultats identiques : quand on réveille brusquement le sujet au milieu d’un acte suggéré, il en garde, en effet, le souvenir comme d’un rêve. Il en est de même d’ailleurs lorsqu’il s’agit, non pas d’un acte, d’un mouvement, mais d’une simple hallucination. Je dis à L. qu’il y a dans la chambre un feu de Bengale vert et elle l’admire, puis, choisissant un moment où elle est tout à fait immobile dans sa contemplation, je la réveille brusquement. Il

  1. Revue philosophique, 1886, tome II, p. 441.