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avoir été tracé avec un pinceau et non avec la plume. Rien n’est plus rare que la signature autographe dans la bibliographie espagnole, particulièrement à la fin du livre. Il est probable que l’auteur n’entendait point qu’on contestât l’identité de sa personne et l’authenticité de son œuvre. Bien des doutes seraient éclaircis, selon toute probabilité, si l’on connaissait la première édition de 1587 ; mais de cette première édition il ne reste aucune trace, et le diligent. Nicolas Antonio n’en avait point connaissance ; bien qu’il parle de trois éditions, il place la première à la date de 1588, ce qui est manifestement une erreur, cette date étant celle de la seconde édition, revue, corrigée, augmentée et enrichie d’une table des chapitres : Esta segunda impression va enmendada, y añadidas algunas cosas curiosas, y una tabla. Madrid, por Pedro Madrigal, año de 1588. Le privilège ou permis d’imprimer, signé par le Roi (Yo el Rey) et contresigné Juan Vasquez, est daté de Saint-Laurent de l’Escurial, le 23 juillet 1586, et la taxe qui fixait le prix du volume au moment de la publication est datée de Madrid, le 12 février 1587, et signée Christoval de Leon. Et il n’y a point d’erreur, le millésime des deux pièces étant écrit en toutes lettres, selon l’usage officiel. Par conséquent il y a eu une première édition en 1587. Qu’est-elle devenue ? C’est ce qu’on ne saurait dire. Si elle a été détruite, la destruction a été complète, car il n’en reste pas un seul exemplaire, et si par hasard il s’en découvrait quelqu’un, on l’achèterait à prix d’or, comme une rareté bibliographique. On ne sait pas ce que le fanatisme religieux a détruit de livres en Espagne, désormais introuvables.

Ce qu’il est permis de supposer sans trop d’invraisemblance, c’est que la protection royale ne fut pas assez efficace pour mettre l’auteur ou du moins son ouvrage à l’abri des poursuites ; car l’Inquisition n’abdiquait point son droit de censure devant les pouvoirs civils, et il se pourrait qu’elle eût exigé la mise au pilon de la première édition. Dans la seconde, au verso de la page d’errata, on lit en lettres capitales : Esta nueva Filosofia va dedicada al Rey Don Felipe nuestro Señor, segundo deste nombre, comme si la dédicace n’était pas un pavillon suffisant pour garantir la marchandise.

On pourrait croire, d’après ces indices, qu’une obscure persécution fut organisée contre un livre qui renfermait beaucoup de nouveautés qui parurent probablement dangereuses, soit aux gardiens de la foi orthodoxe, soit aux partisans convaincus de la tradition et de la routine. Ce qui rend cette conjecture probable, c’est que dans la troisième édition faite en Portugal, à Braga, en 1622, par Fructuoso Lourenço de Basto, l’éditeur, dans sa dédicace à l’illustre seigneur don Joâo Lobo Barâo d’Albito, etc., parle du mauvais accueil qui fut