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l’auteur y a peu ajouté. D’ailleurs ses descriptions se confondent absolument avec celles de M. Beaunis et de M. Liébéault, si bien que l’on se demande quelle peut bien être dans tout cela la part de M. Bernheim, Il est peut-être utile, dans ces questions qui sont encore en pleine évolution, de rapporter à chaque auteur la paternité de ses œuvres. Nous ferons donc remarquer que les changements de personnalité et les suggestions à échéance éloignée appartiennent à M. Richet ; les vésications suggérées ont été découvertes par M. Focachon ; l’hémorrhagie suggérée, par MM. Bourru et Burot ; les phénomènes improprement appelés hallucinations négatives sont déjà de date ancienne ; les hallucinations et illusions suggérées remontent encore plus loin (M. Richet les a étudiées en 1875) ; les suggestions à l’état de veille, sans hypnotisme, appartiennent à Braid ; la division du somnambulisme en six degrés est de Liébeault ; les suggestions criminelles et leurs applications possibles à la médecine légale ont été signalées pour la première fois par M. Féré ; les mouvements par imitation ont été décrits par Heidenhain, Richer, etc. ; la résistance de l’hypnotique aux ordres a été définie par M. Richet. Ce qui appartient en propre à M. Bernheim, c’est d’avoir, comme M. Beaunis, illustré par des exemples nouveaux ces faits connus. Mais qu’il y a loin de ses recherches aux ingénieuses expériences de M. Beaunis, qui est vraiment un expérimentateur de race ! M. Bernheim n’a pas su renouveler la méthode, et nous trouvons un anachronisme dans le fait de recommencer la description pure et simple des hallucinations provoquées. À quoi servent ces répétitions, si on n’a rien de nouveau à nous apprendre sur le mécanisme du phénomène ? Autant vaudrait décrire toutes les formes que prend un morceau d’argile sous la main qui le pétrit. À notre sens, la provocation d’un effet quelconque par suggestion n’est pas toute l’expérience, elle n’en est que le commencement ; s’arrêter là, c’est avoir la clef en main pour ne pas s’en servir. Il faut de plus soumettre ces phénomènes subjectifs à une expérimentation qui en dégage les signes objectifs.

L’absence de cette méthode d’objectivation entraîne M. Bernheim à nous donner des observations dont le moindre défaut est de manquer de preuve. Tels sont ses récits d’hallucinations provoquées ; certes nous ne les frappons pas d’un doute général ; mais, mis en présence de tel cas particulier, nous ne saurions être absolument certain que le sujet a réellement éprouvé une hallucination : scepticisme qui aurait des conséquences graves au point de vue médico-légal.

Ce qui domine ce livre, c’est une théorie de la suggestion poussée si loin qu’elle finit par se détruire elle-même. En effet, s’il est vrai que tout est suggestion dans l’hypnotisme, cet état ne possède aucun caractère autre que les caractères suggérés : c’est dire qu’il ne présente rien d’intéressant en dehors du fait même de la suggestibilité des sujets. Quand M. Bernheim nous dit que le dormeur est seulement en rapport avec l’opérateur, ou pourrait lui objecter ironiquement que c’est par suggestion qu’on a persuadé à l’endormi de répondre seulement à cette